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Cheval d'orgueil de Claude Chabrol
Poème : ô vous, comme un qui boite au loin, Chagrins et Joies
"Ô vous, comme un qui boite au loin, Chagrins et Joies" est le
texte VI de la 1 ème section de "Sagesse" (avant Les faux beaux jours
ont lui).
Ô vous, comme un qui boite au loin, Chagrins et Joies,
Toi, cur saignant d'hier qui flambes aujourd'hui,
C'est vrai pourtant que c'est fini, que tout a fui
De nos sens, aussi bien les ombres que les proies.
Vieux bonheurs, vieux malheurs, comme une file d'oies
Sur la route en poussière où tous les pieds ont lui,
Bon voyage ! Et le Rire, et, plus vielle que lui,
Toi, Tristesse, noyée au vieux noir que tu broies !
Et
le reste ! - Un doux vide, un grand renoncement,
Quelqu'un en nous qui sent la paix immensément,
Une candeur d'âme d'une fraîcheur délicieuse...
Et
voyez ! notre cur qui saignait sous l'orgueil,
Il flambe dans l'amour, et s'en va faire accueil
À la vie, en faveur d'une mort précieuse ! |
Éléments
de syntaxe
Verlaine préfère coordonner les éléments de
la phrase (le plus souvent par et) plutôt que les subordonner. La
coordination convient mieux au rendu des sensations vagues ou des impressions
éphémères que les conjonctions de subordination,
mieux adaptées au maniement des concepts. Par exemple lorsque Verlaine
évoque son idéal féminin dans " Mon rêve
familier " ou ici "Et le Rire (avec une majuscule), et, plus vieille que lui, Et le reste ! Et voyez.
Commentaire
rédigé
1- un dialogue avec sa conscience
2- Les pièges de l'existence
3- Le monde à témoin
Introduction
Comme tous les poèmes de sagesse il s'agit d'un dialogue entre
le Christ et l'âme de Verlaine qui alterne les exhortations divines et les réticences
humaines. Le poème commence par une interpellation de
Dieu qui apostrophe Verlaine, "Ô vous, là bas, comme
un boiteux....l'homme des Chagrins et des Joies" et se poursuit par
l'objection de Verlaine "Mais c'était hier, j'avais le cur
saignant, aujourd'hui je ne suis qu'amour". Le poème a la
forme d'un sonnet régulier répartis en
deux quatrains à rimes embrassées et deux
tercets d'alexandrins, forme consacrée par Du Bellay dans ses regrets et qui convient à l'image du poète qui souhaite avec cette
forme classique rentrer dans le rang et intégrer
la normalité.
I-Un dialogue avec sa conscience
Verlaine s'adresse à lui même, à
sa conscience, à son âme, en utilisant alternativement le vouvoiement puis le tutoiement pour
marquer le changement d'énonciateur. La voix divine, appelons la
comme cela, utilise le vouvoiement comme jadis l'agneau en s'adressant
au loup dans la fable de la fontaine. Le vouvoiement donne ici l'impression
de s'adresser à vieillard infirme claudiquant,
infirme à qui on doit un respect. L'interjection Ô qui précède
le vous doit être pris dans son sens général d'admiration,
plutôt que dans un sens d'agacement, l'éternel semblant apprécier
cette conversion d'un ancien pécheur. Les Chagrins et les Joies
avec des majuscules sont des substantifs personnifiés qui se rapportent
à son déchirement sentimental entre Mathilde et Rimbaud.
Le tutoiement est un signe de familiarité, d'intimité,
d'égalité, de fraternité. Souvenons nous d'un autre
poème de la seconde section de Sagesse, "Le ciel est par dessus
le toit", "et toi que voilà, qu'as-tu fait ?". Aujourd'hui par le jeu métaphorique cur-amour-feu,
son cur brûle, flambe, a des couleurs rouges incandescentes.
Dès le premier vers nous avons l'image d'un infirme boiteux qui
se déhanche, déséquilibré, claudiquant par
l'hésitation de son cur qui saigne. On retrouve dans Sagesse
une symbolique religieuse qui apparaît ici dans le cur qui
saigne et qui rappelle le calvaire du christ sur la croix. La présence
envahissante de la tristesse dans la vie du poète
est mise en relief par son rejet sur le vers suivant,
et la précision sonore de la vielle, un instrument à corde
au son plaintif. Aujourd'hui ce calvaire est bien fini, tout est fini,
tout a fui. Cette alternance des moments passés faits de hauts
et de bas, de vieux bonheurs et de vieux malheurs prend avec la file d'oie une connotation de manque de discernement, de la
sottise humaine. On se souvient de ces oies sacrées du capitole qui effrayées dans la nuit alertèrent les romains
de l'attaque des gaulois alors que tous les gardes n'avaient rien observé.
La poussière du chemin suggère la vanité des voyages de l'âme toujours en quête d'un ailleurs.
II-Les pièges de l'existence
"Tous les pieds ont lui" prennent ici une connotation péjorative
de la facticité de la lumière mondaine,
lueur illusoire de toute âme à la recherche de l'absolu,
de la réussite. La perversité de la lumière
qui s'accompagne de l'éclat factice du verbe luire apparaît
en maints endroits de Sagesse, ce sont les "faux beaux jours qui
ont lui tout le jour", ou "l'espoir qui luit comme
un brin de paille", "les coqs des clochers des villages qui
luisent dans les nuages" ou enfin "l'éclair qui va luire".
L'homme est naturellement attiré par la brillance, l'éclat,
qui apparaissent comme des signes de richesse, de rayonnement, reproduisant
l'éclat céleste de l'étoile. Les pieds de notre poète
ont lui sur le chemin poussiéreux comme les "faux beaux jours"
avaient lui à l'horizon des plaisirs terrestres, mirage d'une lumière attirante mais trompeuse. Vanité
de l'homme toujours à la recherche d'une vie brillante dans le
chemin obscur de la vie. Bon voyage est une formule banale
qui autorise une double acceptation, celle de souhaiter à une personne
de profiter des agréments d'un dépaysement ou celui de se
réjouir d'un départ mettant fin à une présence
difficile. Bon voyage a ici ce second sens, il se félicite de s'être
débarrassé tout à la fois de son passé de bonheurs
et de malheurs, des rires mais surtout de cette tristesse qui semble envahissante
au poète.
III-Le monde à témoins
Dans le premier tercet, le regard du prisonnier se tourne vers sa
nouvelle réalité, le dénuement de la cellule, le
renoncement à la célébrité littéraire
mais aussi à des anciennes passions pour Mathilde et Rimbaud, notre
poète en retire un équilibre, une paix intérieure
considérable, que l'on ne peut mesurer tellement elle est importante.
Son âme désormais purifiée lui procure des délices
insoupçonnés. Il en appelle à la conversion de tous
en prenant le monde à témoins. Et "Voyez" qui
commence le dernier tercet apparaît comme une invitation à
observer les résultats si l'on suit sa voie. Il universalise sa
foi, il utilise des formules chrétiennes. "Notre cur"
répond étrangement au "Notre père" de la
prière chrétienne pour universaliser l'orgueil humain dont
chacun doit maintenant se repentir pour accéder à la plénitude d'une nouvelle vie qui sera "amour" et enterrer l'ancienne qui
n'était qu'une alternance de peines et de joies,
Conclusion
On aura compris que l'orgueil, l'opinion trop avantageuse de soi est un danger, une illusion qui procure des joies mais aussi des détresses. Le dénuement, l'absence d'ambition, l'humilité semblent pour Verlaine des qualités qui procurent une paix intérieure et d'immenses plaisirs. Il invite chacun d'entre nous à en faire autant.
Vocabulaire
Orgueil
Opinion trop avantageuse de soi, fierté. Le contraire, l'humilité
L'âme
Principe des facultés morales, sentimentales, intellectuelles.
Candeur d'âme
Pureté d'âme, innocence.
Boiter
Incliner le corps, plus d'un coté que de l'autre en marchant.
Chagrins
Peine morale, affliction
Joies
Plaisirs, satisfactions
Flamber
Brûler d'un feu vif
Vielle
Non ce n'est pas vieille. Instrument de musique à cordes actionné par une sorte de manivelle. Son plaintif.
Immensément
Que l'on ne peut mesurer, illimité, très étendu, considérable.
L'historique
de la liaison Verlaine/Rimbaud
En septembre 1871, Rimbaud débarque à Paris, invité
par Verlaine à qui il a envoyé ses poèmes. Verlaine,
de 10 ans plus âgé que lui, est fasciné et tombe sous
le charme. Rimbaud, lui, voit en Verlaine un compagnon capable de le suivre
dans sa quête de Voyant, et considère son homosexualité
comme une étape de son expérience de la connaissance universelle.
Hélas
! Verlaine est un être soumis, tiraillé entre l'amour qu'il
éprouve pour sa femme Mathilde et sa passion pour Rimbaud.
Ils vivront moins de deux ans ensemble, vie commune qui s'achèvera
par un drame. A la suite de différents Verlaine quitta seul Londres et Rimbaud sur son insistance le rejoignit à Bruxelles
le 8 juillet. A quatre heures le 10, Verlaine entra dans la chambre, ivre,
un pistolet au poing qu'il venait d'acheter chez l'armurier de la galerie
Saint-Hubert. Pour l'empêcher de partir, il tira sur Rimbaud et
le blessa au poignet gauche. Rimbaud se fit mettre un bandage,
et, désirant toujours retourner à Paris, se rendit à
la gare du Midi. Mais sur le chemin, un faux geste de Verlaine alarma
Rimbaud, fiévreux : il prit peur qu'il sortit à nouveau
son revolver et appela un agent de police. Tous deux furent conduits
au poste pour un premier interrogatoire par le commissaire, suivi d'autres,
de dépositions et de déclarations, puis finalement de l'acte
de renonciation de Rimbaud.
Verlaine fut incarcéré à la prison de Mons.
Rimbaud, quant à lui, retourna chez lui, dans les Ardennes, et
y écrivit Une saison en enfer. Rimbaud s'enfuira ensuite en Europe puis en Afrique et effacera son existence
passée dont il parlera une fois comme de " souillures ".
Verlaine, lui, ne l'oubliera jamais, et contribuera à la postérité
de l'uvre de son ancien amant.
Liste des poèmes de Sagesse
Préface de la première édition
I
I-Bon chevalier masqué ...
II-J'avais peiné comme Sisyphe ...
III-Qu'en dis-tu, voyageur, ...
IV-Malheureux ! Tous les dons, ...
V-Beauté des femmes, ...
VI-Ô vous, comme un qui boite ...
VII-Les faux beaux jours .. .
VIII-La vie humble ...
IX-Sagesse d'un Louis Racine, ...
X-Non. Il fut gallican, ...
XI- Petits amis qui sûtes ...
XII-Or, vous voici promus, ...
XIII-Prince mort en soldat ...
XIV-Vous reviendrez bientôt, ...
XV-On n'offense que Dieu ...
XVI-Écoutez la chanson ...
XVII-Les chères mains ...
XVIII-Et j'ai revu l'enfant unique ...
XIX-Voix de l'Orgueil ...
XX-L'ennemi se déguise ...
XXI-Va ton chemin ...
XXII-Pourquoi triste, ô mon âme ...
XXIII-Né l'enfant ...
XXIV-L'âme antique était rude ...
II
I-Ô mon Dieu ...
II-Je ne veux plus aimer ...
III-Vous êtes calme, ...
IV-1-Mon Dieu m'a dit ...
IV-2-J'ai répondu : " Seigneur, ...
IV-3-Il faut m'aimer ! ...
IV-4-Seigneur, c'est trop ! ...
IV-5-Il faut m'aimer. Je suis ces Fous ...
IV-6-Seigneur, j'ai peur...
IV-7-Certes, si tu le veux mériter ...
IV-8-Ah ! Seigneur, qu'ai-je ? ...
IV-9-Pauvre âme, c'est cela !
III
I-Désormais le Sage ...
II-Du fond du grabat ...
III-L'espoir luit comme ...
IV-Gaspard Hauser chante ...
V-Un grand sommeil noir ...
VI-Le ciel est, par-dessus le toit ...
VII-Je ne sais pourquoi ...
VIII-Parfums, couleurs, ...
IX-Le son du cor s'afflige ...
X-La tristesse, la langueur ...
XI-La bise se rue à travers ...
XII-Vous voilà, vous voilà, ...
XIII-L'échelonnement des haies ...
XIV-L'immensité de l'humanité ...
XV-La mer est plus belle ...
XVI-La " grande ville " ...
XVII-Tournez, tournez, bons c hevaux de bois,..
XVIII-Toutes les amours de la terre ...
XIX-Sainte Thérèse veut ...
XX-Parisien mon frère ...
XXI-C'est la fête du blé, ... |