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Clymène est une nymphe, divinité des bois
Poème :
A Clymène
A Clymène est le 16ème poème sur 22 des "Fêtes Galantes"
Mystiques barcarolles,
Romances sans paroles,
Chère, puisque tes yeux,
Couleur des cieux,
Puisque ta voix, étrange
Vision qui dérange
Et trouble l'horizon
De ma raison,
Puisque l'arôme insigne
De la pâleur de cygne,
Et puisque la candeur
De ton odeur,Ah !
Puisque tout ton être,
Musique qui pénètre,
Nimbes d'anges défunts,
Tons et parfums,
A, sur d'almes cadences,
En ces correspondances
Induit mon cur subtil,
Ainsi soit-il ! |
Les 22 poèmes de Fêtes galantes
1-Clair de lune
2-Pantomine
3-Sur l'herbe
4-L'allée
5-A la promenade
6-Dans la grotte
7-Les ingénus
8-Cortège
9-Les coquillages
10-En patinant
11-Fantoches
12-Cythère
13-En bateau
14-Le faune
15-Mandoline
16-A Clymène
17-Lettre
18-Les indolents
19-Colombine
20-L'amour par terre
21-En sourdine
22-Colloque sentimental
Plan du commentaire composé
I- La fête, le masque, le rêve
II- Une femme dématérialisé en tons et parfums
III- Une symphonie de blancs
Commentaire
composé rédigé
A Clymène est le 16ème poème sur 22 des Fêtes galantes de Verlaine. Clymène est
une nymphe, une des divinités féminines de la nature qui peuplent
bois, eaux, montagnes. Les nymphes sont des jeunes femmes d'une rare beauté
représentées nues ou demi-vêtues, filles de Zeus et
du ciel. On leur attribuait un pouvoir nourricier et fertilisant que l'on
sollicitait en plongeant dans les fontaines. A Clymène n'est pas
le titre original du poème, avant lui ce poème avait un titre
confus : Galimatias (sic) double et Chanson d'amour. Les galimatias sont
des discours embrouillés mais reproduits fidèlement (sic).
L'ancien titre faisait également mention de double suivi de chanson
d'amour. Les fêtes galantes de Verlaine sont souvent comprises comme
des transpositions poétiques de chagrins d'amour, elles s'ouvrent
souvent sous le signe de la musique qui accompagne la fête, des masques
et du clair de lune. A Clymène n'y échappe pas, le personnage
qu'on y croise, une femme aux yeux bleus, n'existe que dans le monde du
paraître, des apparences, des artifices, du déguisement, un
monde de convenances, de politesse, avec ses préciosités,
"chère", ses mondanités et finalement une tricherie
sur la vie.
I. La fête, le masque, le rêve
Avec les deux premiers vers, Verlaine place la barre de l'amour très
haut, dans le domaine de l'idéalisation, de l'extase, du mysticisme.
L'amour est une musique intérieure, une romance sans paroles. Très
haut, c'est le domaine des cieux, de l'infini, de l'abstraction, du bleu,
la couleur des yeux, du blanc. L'amour chez Verlaine est platonique, rêve,
idéalisation. Rien d'étonnant à ce que Verlaine utilise
le paradis artificiel que constitue la fête galante
pour crier sa désillusion, sa mélancolie comme celle que l'on
éprouve devant un paysage de Watteau. Les masques
font leur apparition dès la seconde strophe du poème, c'est
une voix étrange ici amplifiée par l'allitération
en "t", puis une vision qui dérange, qui
peut être celle d'un personnage masqué devant
lequel on ne sait jamais qui se cache, l'orifice du masque laissant échapper
la voix, la modifie rendant toute identification difficile. L'étrangeté
de la voix peut trahir l'émotion, le trouble amoureux, la maladresse
mais peut aussi avoir un caractère énigmatique,
inhabituel, inconnu, en contraste, en opposition avec la familiarité
"chère". L'amour, du trouble de la vue et de l'ouïe
se poursuit dans le domaine olfactif. Un parfum, en général,
une senteur très agréable visant à séduire est
ici réduit à une odeur. La candeur de son odeur,
en respectant l'étymologie latine de candeur, blancheur, pureté,
naïveté, ingénuité, on mesure toute l'ironie de
Verlaine dans l'utilisation de cet artifice. La blancheur du teint du personnage, devient arôme, une odeur agréable.
Comme Rimbaud donnait de la couleur à ses voyelles, Verlaine donne
des odeurs à ses couleurs, à la façon de Baudelaire
dans ses correspondances, "il est des parfums frais comme des chairs
d'enfant". Nous sommes au cur de la poésie verlainiènne
faite d'imprécisions, de sens multiples, de synesthésies,
chacun avec sa sensibilité faisant correspondre à chaque terme,
sa propre représentation, les sens se répondant les uns les
autres. La pâleur du cygne qui représente le teint pommadé
des marquises du XVIIIème prend ici une connotation olfactive. Nous
sommes dans un monde d'apparences, de séduction, mais les sentiments
se résument à un jeu de cache-cache avec l'appât de
la coquetterie. Dans cette symphonie de blancs abstraits, le personnage
principal, la femme, devient irréelle, évanescente, laiteuse,
nuage, auréole, nimbes au pluriel, multiple, intouchable, sans forme
précise, vague, comme dématérialisé. Devant
la femme, sorte de fantôme rappelant le spectre d'une trépassée,
l'amour se résume à une "Romance sans paroles",
une musique intérieure. Les anges, les intermédiaires divins
du bien sont ici défunts, le mal est fait, la femme est réduite
à à une auréole, sorte de relique, de limbe qui rime
avec nimbe avec ironie. Les anges défunts donnent au personnage une
connotation de mal, l'impression d'un double jeu, d'une duplicité
et finalement d'une trahison. La femme, dans tout son être est ramenée
à des tons, des parfums, des termes très génériques
mais avec de nombreuses correspondances.
2 Une femme dématérialisée en tons et parfums
Verlaine, familier de la mélancolie, place à la fin de son
poème un terme liturgique"Ainsi soit-il"
en écho au premier vers "mystiques barcarolles", donnant
ainsi au poème et à l'amour une sorte de fatalité qui emporte le cur fut-il subtil L'amour n'est pas le fruit
d'une recette, c'est quelque chose d'indéfinissable, qu'il en soit
donc ainsi. Verlaine, fataliste a la conviction d'être entraînémalgré
soi par la fatalité et sa perpétuelle défaite
amoureuse serait influencé par les astres, saturne, la planète
maléfique. A quoi bon rechercher le bonheur amoureux si votre
vie est dirigée. Avec "Ainsi soit-il qui ponctue généralement
toutes les prières, on pourrait s'attendre à un poème-prière.
Le poème est basé sur une démonstration, une logique
introduite par la conjonction "puisque" qui remplace
le "et" habituel chez Verlaine, placé en anaphore, ce qui est souvent le cas, ici répété des
dans 4 strophes sur 5. Verlaine est un amoureux platonique, Elisa fut sa
muse et la fin du poème nous confirme cet amour idéalisé
de Verlaine pour la femme qu'il n'a jamais trouvée et qu'il cherche
toujours. A examiner la dernière strophe, on ne manque pas de remarquer qu'il
commence par A, ce n'est plus le Ah ! exclamatif, mais le A dubitatif. A
sur d'almes cadences, est une ironie de Verlaine comparant les menuets et
valses des fêtes galantes aux danses orientales, des danses savantes
lascives, des danses du ventre, où l'amour est simplement suggéré.
Les danses des fêtes galantes sont des frottements, des sensations,
des réalités, les danses orientales sont suggestives, sans
contact, elle idéalisent plus, simulent l'imaginaire de l'amoureux
et induisent, c'est à dire entraîne l'amour de façon
plus subtile que ces pièges assez giottesques des parfums, des maquillages.La
progression du poème se fonde par petites touches sur un effet de suspens, avec la relance continuelle à l'adresse
du destinataire, par l'emploi récurrent des marques
de deuxième personne, procédé qui sera repris dans
le poème suivant "Lettre", par l'anaphore
"puisque" qui participe également à cette stratégie
de retardement comme pour bien argumenter sa démonstration, en peser
chaque terme et déterminer les facteurs déterminants de l'amour.
Verlaine a toujours été écartelé entre rêve
et réalité, entre amour réel et amour platonique et
ses sentiments comme ses sensations reflètent cette dualité.
On trouve des oppositions dans de nombreux termes du poème, romances
et sans paroles, mystiques et barcarolles, soulignant le caractère
paradoxal voire compliqué du rapprochement amoureux.
3-Une symphonie de blancs
Dans cette symphonie de blancs, Verlaine multiplie le paradoxe, cultive
le flou, et beaucoup y verront le souvenir de la passion pour Elisa Moncomble,
en raison de l'analogie sonore Moncomble/Clymène et de l'évocation
de cieux, de voix étrange, de blancheur, des anges, une sorte de
dialogue entre un vivant et une trépassée, mais cette vision
est trop réductrice. On doit plutôt voir dans ce poème
de 5 strophes de 3 vers de 6 syllabes suivis d'un vers de 4 syllabes une
sorte de prière ponctuée à la fin par "ainsi soit-il",
qu'il en soit ainsi, dans une sorte de fatalité. C'est une symphonique
par le choix des rythmes sans être toutefois impairs, Verlaine abandonne
la sérénade pour la barcarolle simplement chantée sans
instrument. Verlaine fait ici gambader ses vers sur des rythmesétranges
qui conviennent bien à la nature immatérielle des
personnages évoqués en maniant subtilement les allitérations,
en "k", mystique/barcarolles,
en "r" romances sans paroles,
en s "ainsi-soit-il, en "t", ta voix étrange, tout ton être. Dans la palette du peintre-poète
Verlaine, les couleurs froides dominent. Ici la palette se compose de deux
couleurs, le bleu, la couleur des yeux de la femme chère,
probablement les yeux d'Elisa que l'on retrouve dans le poème suivant
et la couleur blanche symbolisée par le cygne. Le
blanc peut voir plusieurs connotations, le blanc suggère plus qu'il
ne décrit, la pâleur a une connotation de maladie, voire de
mort, de fantôme, que l'on retrouve dans les nimbes, mais parfois
d'irréalité poussant le lecteur à la fin du poème
à mixter les personnages, les mouvements, les sensations visuelles
et auditives pour imaginer la scène qu'à voulu décrire
notre poète.
Conclusion
Si dans une première lecture
on peut constater que le vocabulaire utilisé est accessible, il s'agit d'une apparence trompeuse. S'il est vrai que les mots en eux-même, romance, voix, vision, odeur, ne justifie pas une étude lexicale approfondie, chacun d'eux est porteur de multiples significations qui permettent de jouer sur le clavier des interprétations. A Clymène est un des plus
beaux poèmes de la littérature, souvent dévalué sous prétexte d'ironie ou de Baudelairisme dévoyé. Le premier titre " galimatias", peu de sens y est pour beaucoup, mais le peu de sens reflète l'aveuglement de l'amoureux dans la trame de son discours. Poème intemporel,
universel, sujet à de nombreuses interprétations, Verlaine, comme à son habitude multiplie le flou, les époques, les paradoxes pour nous démontrer la complexité et la nuance des sentiments humains, qu'il en soit ainsi.
Fêtes
galantes (1869)
Verlaine s'inspire pour son second recueil après
les Poèmes saturniens de Watteau et des autres peintres qui, au XVIIIe
siècle surtout, ont évoqué les plaisirs d'une société
élégante et frivole.
Vocabulaire
Clymène/Elisa Moncomble
C'est une Nymphe. Clymene ou Climéné ou Kliméné représente une nymphe qui dans la mythologie est une divinité subalterne des bois, des eaux, des montagnes. Parmi les nymphes, les plus connues sont celles des ruisseaux et des fontaines. Beaucoup voient dans ce poème une chanson d'amour à Elisa Moncomble, décédée 2 ans plus tôt en 1867, que confirme les yeux bleus et la pâleur du cygne, l'ange défunt, l'analogie sonore entre Clymène et Moncomble.
Mystiques
Relatif au mystère d'une religion, communion par l'extase avec une divinité. Mystiques barcarolles, les chansons des gondoliers vénitiens auraient le pouvoir de faire communiquer les amants dans une sorte d'extase amoureuse.
Romances sans paroles
Galimatias
Discours, écrit confus et embrouillé, peu intelligible.
Sic
Se met entre parenthèses à la suite d'un passage ou d'un mot pour indiquer qu'il a été cité textuellement, quelles que soient les erreurs ou les bizarreries qu'il contient.
Barcarolles
Chanson cadencée des gondoliers de Venise
Cygne
Grand oiseau blanc ou noir, ici Verlaine donne de la couleur blanche une
idée de pâleur.
Almes
Adjectif dérivé par Verlaine d'Almée, une danse d'orient.
origine arabe alima : savante. d'almes cadences signifie des cadences
savantes.
Nimber
Orner d'un nimbe, d'une auréole, origine latine nimbus : nuage.
Ange
Plusieurs sens, créature spirituelle servant d'intermédiaire entre Dieu et les hommes et au sens figuré personne dotée de toutes les qualités
Tons
Façon de parler, inflexion qui révèle un sentiment, une intention
Synesthésie
Trouble sensoriel caractérisé par le fait qu'un seul stimulus
entraîne deux perceptions
.
Romance
Composition poétique de forme très simple
sur un sujet sentimental destinée à être chantée ou une chanson sentimentales.
Oxymore
Alliance de mots incompatibles
Obscure clarté, romances sans paroles, mystiques barcarolles, Un mal nécessaire, Un accessoire indispensable une monstrueuse beauté, le seul choix possible, croissance zéro, douce violence, ennemi intime, fossile vivant, guerre propre, impôt volontaire, don obligatoire, illustre inconnu, mourir de rire, mort vivant, un grand nain, une nuit blanche, une réalité virtuelle, une reproduction originale, un roman autobiographique.
Chiasme
Figure de style disposant en ordre inverse les mots de deux propositions qui s'opposent ex : Il était très riche en défauts, en qualité très pauvre.
Chiasmes célèbres
« L’humanité doit mettre fin à la guerre, ou la guerre mettra fin à l’humanité. »
— John F. Kennedy
« Mieux vaut rater un baiser que baiser un raté. »
— Claire Toussaint
Candeur
Pureté d'ame, innocence naïf, du latin candor blancheur .
Arôme
Odeur agréable qui se dégage de certaine substance. |