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Poème :
Pierrot
"Pierrot" est le 2ème poème de Jadis du recueil Jadis et Naguère
Ce n'est plus le rêveur lunaire du vieil air
Qui riait aux jeux dans les dessus de porte ;
Sa gaîté, comme sa chandelle, hélas ! est morte,
Et son spectre aujourd'hui nous hante, mince et clair.
Et voici que parmi l'effroi d'un long éclair
Sa pâle blouse a l'air, au vent froid qui l'emporte,
D'un linceul, et sa bouche est béante, de sorte
Qu'il semble hurler sous les morsures du ver.
Avec le bruit d'un vol d'oiseaux de nuit qui passe,
Ses manches blanches font vaguement par l'espace
Des signes fous auxquels personne ne répond.
Ses yeux sont deux grands trous où rampe du phosphore
Et la farine rend plus effroyable encore
Sa face exsangue au nez pointu de moribond
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Plan du commentaire
I.Un Pierrot mort d'oubli
II.Un être moribond
III.L'enfer c'est l'absence
Pierrot est le second poème de la section "Jadis"
du recueil "Jadis et Naguère". Il s'intercale entre "la
louange de Laure et de Petrarque" et le poème célèbre
"Kaleidoscope". Il s'agit d'un sonnet, deux quatrains suivis
de deux tercets d'alexandrins. Ce Pierrot n'est pas celui des fêtes
galantes "qui d'un saut de puce franchit le buisson" mais le
mime de nos rues dans lequel Verlaine va se transposer. On aura vite compris
que ce Pierrot figé, comme mort, c'est Verlaine réduit à
l'oubli.
1-Un Pierrot mort d'oubli
Les postures aériennes de Pierrot, le mime des rues qui nous émerveillait
sont ici accentuées par les allitérations en "l".
Mais ce Pierrot est désormais oublié. On a également
de lui le souvenir d'un personnage de comédie, un valet, amoureux
fantasque, farceur. Ce personnage de comédie avec son costume traditionnel,
sa blouse blanche qui hier encore nous émerveillait
a désormais bien mauvaise allure. Nous en avons aujourd'hui l'image
d'un spectre, un mort qui revient sous la forme d'un
fantôme et ce souvenir nous donne des remords.
Verlaine reprend ici l'image du spectre entrevu dans
le vieux parc solitaire et glacé du "Colloque sentimental"
des Fêtes galantes. On retrouve dans ce premier quatrain les caractéristiques
du personnage traditionnel de la Comedia dell'arte, un
valet, "rêveur lunaire", qui "riait aux jeux",
dans sa blancheur habituelle d'innocence, d'enfance
et de naïveté. A ces touches picturales, Verlaine ajoute le
souvenir d'un Pierrot ami de tous, celui du "vieil
air", "Au clair de la lune" qui prêtait sa
plume pour écrire un mot. Nous n'avons pas la
vision du spectre mais son souvenir et il nous hante, car s'il
est une mort bien plus terrible, c'est celle du souvenir. Désormais
personne ne fait attention à lui. C'est un "affreux bonhomme"
pour reprendre une expression célèbre.
2-Un être moribond
Au fil du poème s'opère un glissement du concret
à l'abstrait, du registre de la description à
celui des sentiments et ce Pierrot va devenir le reflet
de l'état d'âme du poète. Pierrot, mime semble avoir
été foudroyé par un éclair
dans le second quatrain, il est figé, bouche ouverte, réduit
au silence. Il crie sa douleur. Sa blouse n'est pas "blanche' mais
"pâle", adjectif qui s'utilise pour le teint d'une personne.
Il y a rupture avec ce passé glorieux introduit dans le premier
quatrain. Par le biais de comparaisons et de métaphores
progressivement introduites, Verlaine ajoute des éléments
venus de l'autre monde au décor de ce mime pour
nous en donner des visions angoissantes comme celle du
linceul, de la bouche béante, des morsures de ver. L'annonce de
sa déchéance nous est amplifié par
le redoublement du froid de la mort dans l'effroi
de l'éclair. Notre Pierrot a désormais l'aspect d'un fantôme,
la blancheur du cadavre. Les deux grands trous ou rampe
du phosphore rappellent étrangement "les deux trous rouges
au côté droit" du "dormeur du Val" de Rimbaud
annonçantla mort du soldat. Mais le phosphore
qui glisse sur l'eau en brûlant rampe dans l'il traduisant
une lueur qui s'éteint progressivement jusqu'à l'absence.
Cette fois ci la chandelle est morte.
3-L'enfer c'est l'absence
Le titre du sonnet ne renvoie pas seulement à une réalité
connue du lecteur, mais plutôtà la vision négative
du poète. Le personnage qui n'est plus ce qu'il était, devient
tellement évanescent qu'il finit par ne plus se
voir, disparaître, absent, mort. Lorsque ce poème est publié,
Verlaine n'a rien publié depuis l'échec de "Sagesse"
trois ans plus tôt et son expérience avec Lucien Létinois,
il sombre dans l'ivrognerie, il lui reste cependant 15 ans à vivre,
Verlaine est certainement en mauvaise santé mais il n'est pas encore
mourant, il n'a pas eu le succès, la célébrité
qu'il espérait, on parle peu de lui, c'est une mort littéraire.
La mort littéraire et non pas physique semble bien l'élément
primordial du texte. Prépare-t-il déjà sa succession
? en acteur dramatique essaie-t-il de nous mettre en garde contre le vide
qu'impliquerait sa disparition ? Tous les temps du poèmes sont
au passé ou au présent, nulle place pour le futur. Notre
Pierrot comme Verlaine n'a ainsi pas d'autre avenir que celui de la mort.
Le texte qui s'ouvrait par "ce n'est plus " se termine par " moribond
". Nous assistons de vers en vers à l'agonie de
Pierrot et chaque strophe en est une étape. Le premier quatrain
proposait une image révolue, vieillissante, finie, du personnage.
Le second quatrain annonce la disparition, le vent froid de la mort. Le
premier tercet est un cri de désespoir pour exprimer l'horrible
solitude de l'artiste qui essaie encore de continuer son uvre mais
qui n'intéresse plus personne. Cet enfer, c'est le silence des
autres, la mort par désintérêt. Le second tercet confirme
le déclin, il ne reste plus dans ce corps sans vie qu'une petite
lueur dans les yeux.
Conclusion
A travers ce Pierrot , c'est un Verlaine plaintif qui réfléchit
sur son effacement de la scène littéraire.
Car c'est bien de Verlaine qu'il s'agit, "son spectre aujourd'hui nous
hante ", est l'image d'un Verlaine qui souffre d'avoir perdu
son identité. Ses maladresses, sa gaucherie, sont
ici traduite par un déhanchement des vers qui accumule les césures
en dehors des hémistiches. Cette asymétrie dans les césures
ressuscite cependant un "Art poétique" fondé sur l'impair,
plus musical selon Verlaine, plus déséquilibré cependant.
D'autre
part, la distanciation qu'opère l'auteur en se représentant
en Pierrot, indique ici sa dualité, un être fascinant
et d'un autre coté un poète qui s'est perdu,
et qu'on oublie. La plainte de Verlaine est bien évidemment douloureuse
et émouvante mais elle est boiteuse comme la musicalité
parfois un peu discordante de ces vers combien riches cependant en allitérations
et assonances remarquables.
Vocabulaire
Anaphore :
Reprise du même mot en début de phrase. "Et" au 4ème et au 5ème et au 13ème est une anaphore.
Allitération :
Répétition d'une consonne ou d'un groupe de consonnes dans des mots qui se suivent. Nombreuses allitération en "l" (aile) qui renforcent l'unité phonique du vers.
Assonance :
Répétition du même son dans un vers, ui dans bruit et nuit (v 9)
Spectre :
Apparition fantastique et effrayante d'un mort ; fant ôme.
Le poème Pierrot fait partie de Jadis et Naguère, l'un des derniers recueils de Verlaine publié en 1881. Verlaine dont les recueils passeront presque inaperçus de son vivant, laisse d'émouvants modèles d'une poésie sincère, sans rhétorique, et d'un art musical qui prélude aux harmonies du symbolisme.
Léon Valade
(1841-1883 est un poète parnassien. Voici une de ses lettres fameuses
Vous avez bien perdu de ne pas assister au dîner des Affreux Bonhommes. Là fut exhibé, sous les auspices de Verlaine, son inventeur, et de moi, son Jean-Baptiste sur la rive gauche, un effrayant poète de moins de dix-huit ans, qui a nom Arthur Rimbaud. Grandes mains, grands pieds, figure absolument enfantine et qui pourrait convenir à un enfant de treize ans, aux yeux bleus profonds, caractère plus sauvage que timide, tel est ce môme dont l'imagination pleine de puissances et de corruptions inouïes, a fasciné ou terrifié nos amis.
Liste des poèmes de Jadis et Naguère
JADIS ET NAGUÈRE
JADIS
Prologue
SONNETS ET AUTRES VERS
À la louange de Laure et de Pétrarque
Pierrot
Kaléidoscope
Intérieur
Dixain mil-huit-cent-trente
À Horatio
Sonet boiteux
Le Clown
Écrit sur l’album de Mme N. de V.
Le Squelette
À Albert Mérat
Art Poétique
Le Pitre
Allégorie
L’Auberge
Circonspection
Vers pour être calomnié
Luxures
Vendanges
Images d’un sou
Les uns et les autres (comédie)
VERS JEUNES
Le Soldat laboureur
Les Loups
La Pucelle
L’Angelus du matin
La Soupe du soir
Les Vaincus
À LA MANIÈRE DE PLUSIEURS
La Princesse Bérénice
Langueur
Pantoum négligé
Paysage
Conseil falot
Le Poète et la Muse
L’Aube à l’envers
Un pouacre
NAGUÈRE
Prologue
Crimen amoris
La Grâce
L’Impénitence finale
Don Juan pipé
Amoureuse du Diable
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