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La mort, le glaive et le sablier à la ceinture
Poème :
Cauchemar
" Cauchemar "
'est le 2ème poème sur 5 de la section initiale "Eaux-fortes" qui suit "Melancholia" des
Poèmes saturniens.
Liste des poèmes saturniens
J'ai vu passer dans mon rêve
-Tel l'ouragan sur la grève,-
D'une main tenant un glaive
Et de l'autre un sablier, Ce cavalier
Des ballades d'Allemagne
Qu'à travers ville et campagne,
Et du fleuve à la montagne,
Et des forêts au vallon, Un étalon
Rouge-flamme et noir d'ébène,
Sans bride, ni mors, ni rêne,
Ni hop! ni cravache, entraîne
Parmi des râlements sourds Toujours! Toujours!
Un grand feutre à longue plume
Ombrait son oeil qui s'allume
Et s'éteint. Tel, dans la brume,
Eclate et meurt l'éclair bleu D'une arme à feu.
Comme l'aile d'une orfraie
Qu'un subit orage effraie,
Par l'air que la neige raie,
Son manteau se soulevant Claquait au vent,
Et montrait d'un air de gloire
Un torse d'ombre et d'ivoire,
Tandis que dans la nuit noire
Luisaient en des cris stridents Trente-deux dents. |
Liste des 37 poèmes du recueil "Poèmes saturniens"
Les sages d'autrfois qui valaient bien ceux-ci
Prologue
Dans ces temps fabuleux, les limbes de l'histoire, la suite est assez longue...
Mélanchollia (à Ernest Boutier) 8 poèmes
1-Résignation
2-Nevermore
3- Après trois ans
4-Voeu
5-Lassitude
6-Mon rève familier
7-A une femme
8- L'angoisse
Ces 8 poèmes expriment une souffrance vague dont le dernier seulement nous en révèle la nature, l'angoisse.
Eaux-Fortes (à François Coppée) 5 poèmes
1-Croquis parisien
2-Cauchemar
3- Marine
4-Effet de nuit
5-Grotesques
Aspect hétéroclite des sujets, des genres, des mètres, lié au genre pictural dont ils se recommandent et dont Baudelaire vantait la liberté. Unité de la technique, traits aigus, noir et blanc, inspiration grotesque ou fantastique.
Paysages tristes (à Catulle Mendès) 7 poèmes
1-Soleils couchants
2-Crépuscule du soir mystique
3- Promenade sentimentale
4- Nuit du Walpurgis classique
5- Chanson d'automne
6- L'heure du berger
7-Le rosignol
Unité du ton et du décor dans les 7 poèmes. La nuit du Walpurgis annonce les fêtes galantes avec un parc à la française. Paysages mélancoliques et champêtres.
Caprices (à Henri Winter) 5 poèmes
1- Femme et chatte
2- Jésuitisme
3-La chanson des ingénues
4-Une grande dame
5-Monsieur Prudhomme
Aspect satirique général, dénonciation de la perversion et de la cruauté féminine.
Autres poèmes sans numéro à la suite
Initium
Cavitri
Sub Urbe
Sérénade
Un dalhia
Nevermore
Il Bacio
Dans les bois
Nocturne parisien
Marco
César Borgia
La mort de Philippe II
Epilogue
1-Le soleil moins ardent, luit clair au ciel moins dense...
2-Donc c'est fait. Ce livre est clos. Chères idées...
3-Ah ! l'Inspiration
superbe et souveraine...
Avec des mots simples et des images champêtres, Verlaine nous fait
partager à travers ce paysage toute son émotion. Verlaine
nous apparaît cependant comme un adolescent "soumis" à
ses pulsions amoureuses le temps de quelques jours de vacances.
Cauchemar se caractérise par son originalité métrique, une alternance de 4 heptasyllabes, vers de 7 pieds et d'un trétrasyllabe, vers de 4 pieds. C'est une alternance impair 7 et pair 4.
Le tétrasyllabe vers de 7 pieds, forme courte très utilisée au Moyen Age se retrouve dans "La cigale et la foumi" de Jean de la Fontaine.
La Cigale, ayant chanté
Tout l'été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue :
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Plan
de commentaire
1 Un cavalier fantomatique
2-Un être d'outre-tombe, un spectre
3-un poème romantique "noir"
"Cauchemar" fait partie des nombreux poèmes saturniens, à l'image de "Grotesques" qui font appel aux thèmes du fantastique pour créer un univers différent appartenant au rêve ou au cauchemar. Dans ce poème, un mouvement violent emporte un cavalier fantomatique dont on devine au fur et à mesure de la lecture que c'est un être d'outre-tombe, le spectre d'un défunt, probablement son père, ancien officier de l'armée décédé un an auparavant. Du cavalier qui galope "sans mors et sans rêne", il ne reste finalement qu'un squelette d'homme avec ses 32 dents. C'est un poème disposé en quintils (5 vers) selon une alternance 7/4, de 4 vers impairs de 7 syllabes et d'un dernier vers de 4 syllabes. Cette alternance de vers pairs et impairs ne se retrouve que dans "Chanson d'automne" avec une alternance 4/3.
1 Un cavalier fantomatique
Un cavalier qui porte un glaive et un sablier (et non un bouclier comme on le voit souvent) ne peut que représenter la mort. Son existence est onirique, elle est
immatérielle, elle est passée rapidement dans son rêve
mais il a pu en noter ces deux détails importants
tenus dans chaque main, le glaive, une épée
courte à deux tranchants et un sablier, la mesure
du temps. Le cavalier est comparé à un "ouragan
sur la grève" pour le déchaînement
et la violence de la nature d'ordinaire paisible. Le rythme du poème
est marqué par la dissymétrie 7/4 du quintil et reproduit
le caractère anormal, boiteux de cette apparition ainsi que son déplacement. On retrouve à
la fin de "La Mort de Philippe II, cette même comparaison,
cette analogie, cette fusion des deux univers, qui évoque la
violence de la mort "Tel l'ouragan passe à travers
une ruine". Au fil de la progression, on voyage en Allemagne, de
villes en villes, à travers la campagne, les fleuves, les forets
dans une sorte de survol rapide. Verlaine précise que le cavalier
chevauche un étalon, un cheval habituellement
destiné à la reproduction et non pas à la course. La couleur noire, celle de la mort est celle
de l'étalon qui n'a également aucun harnachement. Les râlements
sourds semblent être ceux de mourants. La couleur
rouge renvoie à une autre réalité, le sang. Le rouge
du cheval associé au mot flamme prend une signification tragique d'incendie.
II-Un être d'outre tombe, un spectre
Le cavalier qui chevauche l'étalon à
grande vitesse possède quelques attributs vestimentaires particuliers, un feutre avec une plume évoquant un personnage
tyrolien, puis un manteau en correspondance avec les
éléments déchaînés qui flottant au vent
fait office de cravache et accélère le mouvement. La tenue
est négligée, comme en bataille, et laisse apparaîtreétrangement
un torse cadavérique, d'ivoire. Incontestablement
nous sommes dans un registre macabre, morbide, noir, dont nous avaient
habitués les poètes romantiques, Chateaubriand, Victor Hugo,
Lamartine. Verlaine a cependant une approche différente, ici nul lyrisme, nous sommes dans le fantastique, dans l'imaginaire. On
sait que Verlaine fut très affecté par
la mort de son père, le capitaine Nicolas Verlaine l'année précédente et qui avait quitté l'armée
pour mieux s'occuper de son fils. Notre poète ne serait-il pas
en train de revoir son spectre ou son squelette ? Tout
l'indique, le personnage décrit ressemble bien à un militaire,
il porte un sabre court et est monté sur son cheval, un étalon,
il a l'il qui s'allume et qui s'éteint rappelant le credo
militaire consistant a avoir un il toujours ouvert.
La présence de l'éclair bleu d'une arme à
feu confirme bien qu'il s'agit d'une scène de bataille
qu'accompagne les sonorités des cris stridents des blessés.
Verlaine revoit le spectre ou le squelette de son père,
un militaire défunt, c'est une vision effrayante, angoissante pour
lui, un cauchemar. L'idée de mort chez Verlaine n'est généralement
que suggérée, atténuée par la périphrase
ou l'euphémisme, il s'agit d'un exil, d'un départ. Ici le
cauchemar de Verlaine semble être imprégnéd'une mort
réelle, mort généralement associée
à la pâleur, la froideur, la raideur, la nuit. L'il
qui s'éteint, la neige qui recouvre tout comme un linceul et dont
le blanc évoque aussi l'absence,
puis la nuit noire, sont des images qui participent à cette évocationmortuaire.
L'originalité du poème réside dans le mouvement insensible qui nous fait passer d'un décor de tempête sur une grève, fait d'embruns, de tourbillons, l'image d'une nature
violente, et par correspondance, des difficultés de la vie chez
Baudelaire, à l'immobilisme de la nuit noire, à l'absence
de vie, à la mort. Alors que la nuit noire effaçait
tout au dernier vers du colloque sentimental "Et la nuit seule entendit
ses paroles" qui reprend le même thème des revenants,
le souvenir des plaintes et des dents reste ici encore présent ce qui confirme que le revenant est une personne chère au poète.
III- Un poème romantique "noir"
Le romantisme affirme la primautéde l'émotion,
exalte l'imaginaire. Verlaine à cette époque comme tous
les artistes commence par s'imprégner des poètes qui l'ont
précédé et qu'il admire. Verlaine apparaît
un peu comme l'héritier de ce mouvement et "Cauchemar"
répond au goût du romantisme "noir"
pour le fantastique. Chez les romantiques, il y a toujours
du vent, généralement du nord, soufflant sur des grèves
comme à St-Malo chez Chateaubriand. Dans notre poème le
vent est à son apogée, c'est un ouragan. Un autre thème
cher aux romantiques, le mépris du monde contemporain, l'attrait
pour les légendes germaniques,
les promenades dans la nature, les tempêtes, les voyages vers un
ailleurs nouveau comme thérapie. Dans le second quintil par un
jeu subtil d'allitération en "l", consonne fluide, Verlaine
nous fait survoler l'Allemagne dans tous les sens et donne de la mort une idée optimiste de voyage infini et non de néant. Le romantisme allemand fait une large place au
rêve, à l'étrange, à l'inexplicable, au fantastique,
à l'irrationnel qui essaie de réhabiliter la pensée
magique, fait planer les mystères et met l'accent sur les forces irrationnelles qui uvrent dans le monde mais échappent
à l'entendement. Bien avant Verlaine, les romantiques avaient pressenti
tout ce que l'inconscient avait de "fou", d'incontrôlable. Cette histoire rocambolesque de revenant participe de la même vision
de l'homme.
Conclusion
Ici encore avec ce poème "Cauchemar", Verlaine tente d'exorciser par la musique l'inquiétude de son âme. Le rythme irrégulier des vers impairs, le jeu délicat des vers de 7 et 4 syllabes traduit le sentiment complexe de Verlaine en face à la mort, tiraillé entre Dieu et Satan. "Cauchemar" est l'occasion pour Verlaine d'évoquer la dure condition
de poète meurtri par son hyper sensibilité et de parler
de lui même. Verlaine s'est probablement inspiré des contes d'Hoffmann, écrivain allemand inventeur du genre, ou des "démons de la nuit" de Nodier pour nous communiquer le vertige de son cauchemar. Verlaine reviendra souvent sur le thème de la mort non sans une certaine ironie comme ici, traduisant une grande peur de l'exclusion dans la mort comme il fut exclus dans la vie.
Vocabulaire
Cauchemar :
(attention à l'orthographe de cauchemar qui n'a pas de d à
la fin), rêve effrayant et angoissant
Glaive :
Courte épée à 2 tranchants.
Sablier :
Appareil composé de deux ampoules dont l'une contient du sable
fin qui s'écoule dans l'autre par un étroit conduit, est
utilisé pour mesurer le temps.
Ouragan :
Tempête très violente avec des vents tourbillonnants
que l'on observe dans les caraïbes.
Étalon :
Cheval destiné à la reproduction.
Feutre :
Chapeau
Spectre :
Fantôme, apparition surnaturelle d'un défunt.
Orfraie :
Ancien nom du pyrargue à queue blanche, grand aigle de mer
Rythme :
"De la musique avant toute chose", ce poème en vers impairs (7
syllabes) illustre à l'avance le précepte verlainien d'une
poésie légère, sinueuse, doucement incantatoire par
ses rimes et les retours rapides des sonorités
repris comme des thèmes musicaux. La phrase mélodique épouse
le rythme berceur pour faire vibrer mélancoliquement notre sensibilité.
"Cauchemar" forme avec cinq autres poèmes la section des " Eaux-fortes"
des Poèmes saturniens, paysages troubles, crépusculaires,
agités, convulsifs, déchaînés, cauchemardesques.
La section est dédiée à François Coppée
(1842-1908) poète français, peintre sentimental de la vie
du petit peuple (Les Humbles).
Une incantation sonore
Dans la première strophe, le son é (fermé)
apparaît 3 fois, (passer, sablier, cavalier autant que le son è (ouvert) (rêve, grève, glaive), technique d'équilibre
ouvert/fermé fréquente chez Verlaine.
Dès le premier vers " -Tel l'ouragan sur
la grève/D'une main tenant un glaive, le phonème an est répété deux fois produisant
par assonance sur le lecteur un effet d'envoûtement.
Dans le second quatrain On retrouvera au vers 13 le même phénomène
avec la voyelle a qui revient quatre fois" sa voix, lointaine,
et calme, et grave, elle a ". Ce vers 13 est
aussi avec les virgules, marqué de pauses fortes, comme si le souvenir
de la voix émergeait avec hésitation des brumes de l'oubli.
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