Charleroi de Paul Verlaine
26/09/2023

Verlaine expliqué
: Romances sans paroles

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VERLAINE : Charleroi (Paysages belges 1872) Romances sans paroles




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Poème : Charleroi

Charleroi est une ville belge

"Charleroi" est le 2ème poème de la section paysages belges de "Romances sans paroles ".

Dans l'herbe noire
Les Kobolds vont.
Le vent profond
Pleure, on veut croire.

Quoi donc se sent ?
L'avoine siffle.
Un buisson gifle
L'œil au passant.

Plutôt des bouges
Que des maisons.
Quels horizons
De forges rouges !

On sent donc quoi ?
Des gares tonnent,
Les yeux s'étonnent,
Où Charleroi ?

Parfums sinistres !
Qu'est-ce que c'est ?
Quoi bruissait
Comme des sistres ?

Sites brutaux !
Oh ! votre haleine,
Sueur humaine,
Cris des métaux !

Dans l'herbe noire
Les Kobolds vont.
Le vent profond
Pleure, on veut croire.

Résumé
:
Charleroi est le texte II de la section intitulée "Paysages belges". Parmi les champs et les usines, le train roule à toute allure. Au rythme haletant et saccadé de sa course, un chaos de sensations et d'impressions fulgurantes qui "giflent" l'œil et emplit l'oreille du voyageur. Assourdi, étourdi, il éprouve une sorte de vertige. Mais cette ivresse de sensation brutales ne peut abolir une mélodie secrète, perçue dans les intervalles du fracas, qui unit l'âme et le paysage dans une harmonie mystérieuse et mélancolique (strophes 1 et 7 répétition de 1).

Plan de commentaire composé

Introduction

Le poème "Charleroi" emprunte son titre au nom d'une ville belge, située dans une région minière et industrielle. Parmi les champs et les usines, un train emmenant Verlaine et Rimbaud roule à toute allure. Au rythme haletant de sa course le poème se présente comme une succession rapide et discontinue d'impressions jetées à la face du voyageur. Dans ce chaos de sensations brutales et d'impressions fulgurantes le voyageur éprouve une sorte de vertige enivrant. Mais les intervalles du fracas laissent toutefois le temps au lecteur d'une transfiguration métaphorique et fantastique qui lui permet d'unir son âme au paysage.

I- Une ivresse de sensations brutales

Le texte est constitué d'un ensemble de sensation que l'absence du narrateur rend encore plus brutale. Les sensations visuelles reposent d'abord sur deux couleurs contrastées et franches : le noir de l'herbe et le rouge des forges. C'est donc une scène de nuit, sans repères, un univers angoissant dont la lueur de la lune, si chère à Verlaine, est absente. La violence de la couleur rouge s'oppose aux habituelles demi-teintes du poète. Les sensations sont soudaines et brusques, le buisson qui " gifle l'œil" se comprend comme une marche dans une nature hostile ou comme une vision rapide, sans accommodation, du buisson, qui frappe l'œil. Les sensations auditives sont elles aussi particulièrement agressives, brusques et violentes, "des gares tonnent" et "l'avoine siffle". Les bruits de l'industrie qui émanent des usines sont violents, on entend le " cris des métaux " dans les forges. Des bruissements lugubres se font entendre comparables à ceux des " sistres " instruments de musique funéraire dans l'ancienne Égypte. Les sensations olfactives sont présentes dans quatre strophes sur sept. Elles paraissent obsédantes et étranges. Par deux fois se pose la question de la nature des odeurs qu'est-ce que c'est", "on sent quoi ? ". Les odeurs sont assimilées à des "Parfums sinistres" alliance contre nature d'un substantif "parfum " de connotation agréable avec le qualificatif sinistre. L'exclamation Oh! Votre haleine " et la sueur humaine " soulignent l'intensité nauséabonde des odeurs. Sous cette avalanche de visions et d'odeurs démoniaques des environs de Charleroi, le voyageur sort assourdi, étourdi sous ce chaos de sensations fulgurantes.

II- La poésie impressionniste
Tout l'art de Verlaine s'est élaboré en même temps que prenait corps la révolution impressionniste", le recueil "Romances sans paroles" dont est issu le poème parait l'année même où est exposé le tableau impression, soleil levant " qui devait donner son nom au groupe de peintres. Déjà dès l'enfance Verlaine avait manifesté des dispositions appréciables pour la peinture et le dessin. C'est sans aucun doute dans les paysages belges qu'apparaît le mieux le caractère impressionniste du style Verlainien, une technique analogue à la technique picturale consistant à cueillir les éléments du décor en une série de notations superposées. En recourant au tétrasyllabe qui hache les strophes, en employant les k qui craquent, les r et les g qui grondent, Verlaine rend compte de merveilleuse façon du tressautement du train et des bruits des forges dans les quatre vers "plutôt des bouges, que de maisons, quels horizons, de forges rouges".

III- L'influence de Rimbaud et de Baudelaire.
Dans cette fugue en Belgique, la présence de Rimbaud est évidente jusque dans le style et la syntaxe. Les sonorités sombres et inquiétantes en "o" et en "a" avec leur variante en "an" et "on", rappellent le "a noir" des voyelles de Rimbaud. La syntaxe est ramassée abrupte, souvent proche du style oral. La 3ème strophe a une syntaxe nominale qui, dans son raccourci, reste au plus près de l'impression reçue. Les interrogations sont formulées de façon familière ou elliptique On sent donc quoi ? " Où Charleroi ? ". Le rythme saccadé est accentué par la ponctuation violente, cinq points d'interrogation et quatre points d'exclamation. Chaque strophe se lit à deux niveaux, un niveau purement visuel et un autre intérieur qui en fait la traduction personnelle du poète. L'emprise de Rimbaud se traduit par des hardiesses de langage, proches de l'incorrection " Quoi bruissait ". L'expression contractée débouche sur un renouvellement des modes descriptifs dans lequel il ne s'agit plus de peindre la chose mais l'effet qu'elle produit. Le fuite de Verlaine vers Charleroi est aussi celle d'une fuite en avant dans l'espace et la poésie. L'influence de Baudelaire est également perceptible, à la différence que Verlaine ne confère pas aux sensations une valeur métaphysique. Ses correspondances sont horizontales, objets et paysages sont en mystérieuse correspondance avec nos sentiments. La personnification du paysage "le vent profond pleure", le " buisson gifle", " les métaux crient" nous suggèrent les plaintes des mineurs ou les angoisses de la nuit. Devant cette déformation de la nuit, le poète voyageur nous communique son angoisse devant le monde industrielle moderne dans lequel tout parait s'animer d'une vie inquiétante, les maisons apparaissent "plutôt des bouges"

Conclusion
En nous plongeant dans les ténèbres dès le premier vers "Dans l'herbe noire", Charleroi pourrait se définir comme un poème du sursaut et de l'imprévisible, de la peur du noir traduisant la brutalité d'un monde deviné. Mais dans ce voyage nocturne c'est Rimbaud que suit Verlaine en aveugle lorsqu'il dénoue les liens de la syntaxe, substitue l'exclamation à la proposition structurée, laisse passer en désordre dans le champ de sa conscience impressions et sensations.

Vocabulaire
Un Kobold
C'est un lutin malicieux des légendes germaniques qui a pour tache de garder les trésors souterrains. Dans ce texte, ils veillent sur les mines de charbon

Charleroi en Belgique
C'est un centre d'industrie minière et métallurgie, ville de Belgique de l'arrondissement du Hainaut, sur la Sambre, 200.000 habitants francophones (Wallons).

Sistre
Instrument de musique à percussion de l'ancienne Égypte.

Bouges
Logement malpropre ; taudis ; café, bar misérable et mal fréquenté.

Forge
Atelier où on travaille les métaux en feu

A propos de ponctuation
Ce qui est entre les parenthèses " " est suivi et précédé d'un espace alors que parfois, dans les journaux, il ne l'est pas. Les guillemets donc des signes de ponctuation doubles comme les deux points ou le point virgule et doivent être précédés et suivis d'un espace.
On pourra comparer " Charleroi " à " Bruxelles " de Rimbaud dont voici la première strophe :
Plates-bandes d'amarantes jusqu'à
L'agréable palais de Jupiter
- Je sais que c'est toi qui, dans ces lieux,

Mêle ton Bleu presque de Sahara !
.../...
Juillet 1872


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