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Manège de chevaux de bois, photo de l'auteur prise à Arles
Poème : Chevaux de bois
"Chevaux de bois" est le 13ème poème de "Romances sans paroles", 4ème de "Paysages belges"
Liste des poèmes de "Romances sans paroles"
Tournez, tournez, bons chevaux de bois,
Tournez cent tours, tournez mille tours,
Tournez souvent et tournez toujours,
Tournez, tournez au son des hautbois. Le gros soldat, la plus grosse bonne
Sont sur vos dos comme dans leur chambre,
Car en ce jour au bois de la Cambre
Les maîtres sont tous deux en personne.
Tournez, tournez, chevaux de leur cœur,
Tandis qu'autour de tous vos tournois
Clignote l'œil du filou sournois,
Tournez au son du piston vainqueur.
C'est ravissant comme ça vous soûle
D'aller ainsi dans ce cirque bête :
Bien dans le ventre et mal dans la tête,
Du mal en masse et du bien en foule.
Tournez, tournez sans qu'il soit besoin
D'user jamais de nuls éperons
Pour commander à vos galops ronds,
Tournez, tournez, sans espoir de foin
Et dépêchez, chevaux de leur âme :
Déjà voici que la nuit qui tombe
Va réunir pigeon et colombe
Loin de la foire et loin de madame.
Tournez, tournez ! le ciel en velours
D'astres en or se vête lentement.
Voici partir l'amante et l'amant.
Tournez au son joyeux des tambours ! |
Plan
de commentaire composé
Introduction
Le poème "Chevaux de bois" est le 4ème
poème de la section des "Paysages belges"
du recueil "Romances sans paroles", il emprunte son
titre à un manège du champ de foire de Saint-Gilles,
l'une des 19 communes qui jouxte Bruxelles, capitale de la Belgique. A
l'occasion d'une foire annuelle, on retrouve le classique manège
des chevaux de bois. Ces manèges se déplaçaient de
foires en foires pour le plus grand bonheur des enfants et des adultes.
Le poème se compose de 7 quatrains impairs de 9 pieds, des ennéasyllabes
peu utilisés donnant l'impression de décasyllabes inachevés
créant un effet de suspense. Les rimes sont ici alternées.
Il y a une alternance de quatrains à rimes masculines avec des
quatrains à rimes féminines. Les manèges étaient
des divertissements très à la mode au XVIIIème.
I- L'anaphore du bercement
Dans la première ariette qui commence le recueil
Verlaine utilisait déjà l'anaphore "c'est",
un peu à l'image des "il y a" de Baudelaire. Ici l'anaphore
de "tournez" est doublée, en début
de verbe ou à l'intérieur. On a l'impression qu'il donne
des ordres à ces automates obéissants,
ce sont de "bons chevaux de bois". L'espace
verlainien est fréquemment théâtral, pictural et pseudo-historique.
Théâtral, il l'est sûrement avec cette image de deux
corps pesants, "un gros soldat" et "la
plus grosse des bonnes" sur des montures fragiles,
avec la présence des maîtres, riches personnages
venus en ce lieu ce divertir avec les "bonnes".
Ce sont les chevaux de leur cur, ils aiment ces
manèges. L'image du chevalier est présente
dans le cur de chacun, il lutte en tournois pour le cur d'une
belle. Pictural, il l'est aussi. Mais Verlaine n'a pas
bien observé ces manèges, il n'y a nul
piston dans ce mécanisme mais au sommet
un vilebrequin qui donne le mouvement. Par contre Verlaine a bien observé
que ce manège ne comporte pas que des chevaux de bois mais une
grande variété d'animaux, des éléphants,
des tigres. Il y a toujours aussi le carrosse de Cendrillon et des tasses-tourniquets.
Tous ces animaux rassemblés dans ces carrousels mécaniques
donne une impression de cirque. Chevaux du cur,
chevaux de l'âme, c'est une autre mauvaise impression, les enfants
ou les adultes qui fréquentent ces manèges
aiment à se déplacer de montures en montures, on essaie
le cheval et on passe sur le dos du tigre et ainsi de suite. Le mouvement
assez simpliste du vilebrequin reproduit très
fidèlement le mouvement de bercement que les enfants
aiment à retrouver. Il nous berce physiquement puis berce nos curs
et nos âmes, ce n'était pas pour déplaire
à Verlaire. Mais ce mouvement ravissant le fatigue, le "saoule".
Cette image du bercement est renforcée par l'expression "comme
dans leur chambre".
2-Un univers musical
Ce qui fait le succès de ces manèges, c'est
la musique attirante prodiguée généralement par des
orgues de barbarie envoûtantes. Verlaine parle
de hautbois, un instrument de musique à vent pour faire image au
long morceau de bois sur lequel est fixé le cheval de bois et auquel
on se tient pendant le mouvement. Verlaine aime jouer sur les
noms des instruments de musique, le cor notamment.
Avec Romances sans paroles, la poésie se chuchote,
l'impératif "tournez" n'est pas à prononcer avec
autorité mais avec douceur, lenteur
comme pour s'endormir. Mais la fin de la fête arrive, il faut se
dépêcher, la nuit tombe. Toujours fidèle
a son schéma théâtral, le dernier acte arrive, celui
de la conclusion, après l'endormissement, le pigeon,
roucouleur infatigable qui aura réussit à séduire
une naïve colombe doit profiter des charmes étoilés
de la nuit pour achever sa nuit dans les bras de sa bien aimée.
3- Une complainte éternelle.
Tout l'art de Verlaine consiste à anéantir
le lecteur pour le porter dans les bras du sommeil et
le silence. Tout revient à fuir la réalité
d'un monde et par cette mélodie à effacer
des réalités trop difficiles. Le mari qui
laisse son épouse à la maison, le soldat, la bonne sont
des personnages qui fuient la réalité. Avec cette complainte
très personnelle et très musicale, facile à mémoriser,
avec des mots qui reviennent comme des refrains, Verlaine
nous faire prendre conscience que nos aspirations et
nos joies restent nuancées de mélancolie,
d'anciennes douleurs qu'il faut effacer. On se souvient des premiers vers
de l'ariette I "Cette âme qui se lamente,
en cette plainte dormante, c'est la nôtre,
n'est-ce pas ?".
4- Une métaphore de la création poétique
L'image de ces chevaux de bois qui tournent, c'est l'image
du travail poétique dont Verlaine, fortement influencé
ici par Rimbaud, veut nous faire prendre conscience. Tout travail poétique
consiste à agencer des mots, des phrases, à
les tourner et à les retourner, souvent, indéfiniment parfois
pour trouver le meilleur agencement, la meilleure alchimie
pour reprendre un poème de Rimbaud. Cela rappelle étrangement
les mouvements perpétuels des enfants sur ces manèges, ils
se déplacent constamment d'animal en animal pour chercher la meilleure
monture. La poésie ressemble à cette gymnastique
consistant à chercher le meilleur équilibre, le
meilleur effet. Comme ces chevaux, Verlaine n'est pas un automate
mu par le piston de sa création. Si plusieurs poèmes de
Verlaine paraissent laborieux, Verlaine, à sa décharge a
toujours été pressé par ses éditeurs pour
publier un recueil. L'ironie et la moquerie sont évidentes dans
le "et dépêchez" qui traduit cette impatience des
éditeurs.
5- L'influence de Rimbaud et de Baudelaire.
Dans cette fugue en Belgique, la présence de Rimbaud
est évidente jusque dans le style et la syntaxe.
Les sonorités sombres et inquiétantes en o et en
a (gros, dos, soldat, âme) avec leur variante en an (souvent,
chambre, Cambre), on (bon, son, piston, pigeon, colombe, tombe), ou (tournez,
tours, tour, tournois, filou, sournois) rappellent le a noir des
voyelles de Rimbaud. Le rythme irrégulier 4/5 s'accélère
à la fin, accentué par deux points d'exclamation
dans le dernier quatrain. Chaque strophe se lit à deux
niveaux, un niveau purement visuel et un autre
intérieur qui en fait la traduction personnelle
du poète. Dans le premier quatrain Verlaine multiplie les compléments
au verbe tourner, souvent, toujours, cent tours, mille tours, c'est une
impression visuelle mais en traduction, c'est la difficulté
de toute l'alchimie du verbe pour faire un poème. Il cisèle
le vers comme un artisan pour arriver au meilleur travail fini. Verlaine
publiera une version des "effarés" de
Rimbaud différente de la première uvre. L'emprise
de Rimbaud se traduit par des hardiesses de langage, proches de
l'incorrection, "ça vous saoule", "Et dépêchez"
par exemple. Ces expressions contractées débouchent sur
un nouveau mode descriptif dans lequel il s'agit plus de produire un effet
visuel ou sonore que de le décrire. L'influence de Baudelaire
est également perceptible dans ses correspondances horizontales,
ici objets personnages sont en mystérieuse correspondance. Sur
le manège les personnes les plus diverses arrivent à oublier
leurs tracas quotidiens et vivre quelques instants de bonheur.
Conclusion
En reprenant la pratique de l'anaphore qui caractérisait les meilleurs Poèmes saturniens, Verlaine à travers les joies enfantines d'un manège forain nous berce de sa douce mélodie. A travers des impressions visuelles d'un temps qui fuit trop vite, il nous peint par petites touches, avec ses yeux de solitaire mélancolique un comportement de foule assez charmant.
Vocabulaire :
Carrousel
Parade au cours de laquelle les cavaliers exécutent des figures convenues.
Bois de la Cambre
C'est l'équivalent pour les Bruxellois de notre bois de Boulogne à Paris. Ce parc de 123 hectares regroupe des boites de nuit, des manèges de chevaux, une patinoire et des lacs pour faire du canotage. Il est très fréquenté en été et on y organise beaucoup d'animations.
Tournoi : compétition sportive. Fête guerrière où les chevaliers s'affrontaient à armes émoussées ou sans aspérités et à cheval.
Poèmes de romances sans paroles
Ariettes oubliées
Ariette I (C'est l'extase langoureuse...)
Ariette II (Je devine, à travers un murmure...)
Ariette III (Il pleure dans mon cœur...)
Ariette IV (Il faut, voyez-vous, nous pardonner les choses...)
Ariette V (Le piano que baise une main frêle...)
Ariette VI C'est le chien de Jean de Nivelle...)
Ariette VII (O triste, triste était mon âme...)
Ariette VIII (Dans l'interminable ennui de la plaine...)
Ariette IX (L'ombre des arbres dans la rivière embrumée...)
Paysages belges
Walcourt
Charleroi
Bruxelles I - Simples fresques
Bruxelles II - Chevaux de bois
Malines
---Birds in the Night
Aquarelles
Green
Spleen
Streets
Child Wife
A Poor Young Shepherd
Beams
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