12/07/2022
Verlaine expliqué
: Sagesse

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VERLAINE : L'échelonnement des haies(1875 Stickney) Sagesse III/XIII





Les haies protègent les champs du vent, une sagesse


Ne dirait-on pas, avec les fleurs blanches des arbustes, un mouton au premier plan ? Ici à Stickney, les moutons sont bien réels.

Poème : L'échelonnement des haies

" L'échelonnement des haies" est le texte XIII de la 3ème section de Sagesse (juste avant Gaspar Hauser).

L'échelonnement des haies
Moutonne à l'infini, mer
Claire dans le brouillard clair
Qui sent bon les jeunes baies.

Des arbres et des moulins
Sont légers sur le vert tendre
Où vient s'ébattre et s'étendre
L'agilité des poulains.


Dans ce vague d'un Dimanche
Voici se jouer aussi
De grandes brebis aussi
Douces que leur laine blanche.

Tout à l'heure déferlait
L'onde, roulée en volutes (1),
De cloches comme des flûtes
Dans le ciel comme du lait.

Stickney, 75.

Précisions : Stickney, 75.
Paul Verlaine, Sagesse, III, 1881.


Sagesse III

I-Désormais le sage puni
II-Du fond du grabat
III-L'espoir luit comme un brin de paille
IV-Gaspar Hauser chante
V-Un grand sommeil noir
VI-Le ciel est, par dessus le toit
VII-Je ne sais pourquoi
VIII-Parfulms, couleurs, systèmes, lois !
IX-Le son du cor
X-La tristesse, la langueur du corps humain
XI-La bise se rue à tyravers
XII-Vous voilà, vous voilà, pauvres bonnes pensées !

XIII-L'échelonnement des haies

Commentaire rédigé

Le poème "L"échelonnement des haies" est un impression de Verlaine sur la campagne anglaise. Verlaine est libéré de prison le 17 janvier 1875 et après des tentatives infructueuses de retrouver Mathilde s'envole en avril pour l'Angleterre où il a obtenu un poste de professeur de français, latin, grec et dessin à la grammar school de Stickney dans la campagne au nord de Londres à proximité de la mer. Il écrit ce poème sur ce paysage de prairies, de cheveaux, de moutons et de pluie lors d'un voyage depuis la route.


I-La construction d'un paysage

Il n'y a pas chez Verlaine de frontière entre le paysage et les états d'âme, entre la pluie et les larmes. Les sentiments ne sont pas décrit mais projetés sur les choses. Ce poème est extrait du recueil "Sagesse", recueil qui sera publié en 1880, soit cinq ans plus tard. C'est un poème en vers impairs, des heptasyllabes, vers de 7 pieds. Ici la faible longueur du vers ne donnent que peu de décalages entre le mètre et la syntaxe, de rares enjambements, claire avec la mer, douces de aussi. Il n'y a pas de rejet ou de contre rejet qui donnerait au poème une ambiguité sémantique ou grammaticale. Ici, Verlaine, il l'a par ailleurs écrit et dessiné reproduit sa vision depuis une route, dans un moyen de transport de carrés de terre entourés de haies dans lesquelles paissent de nombreux moutons. "L'échelonnement des haies moutonne à l'infini" est une phrase simple, aussi célébre en poésie que "Elle est debout sur mes paupières", ou "La terre est bleue comme une orange" de Paul Eluard. L'échelonnement des haies renvoie à l'image d'une échelle délimitée avec des barreaux, des échelons, un espacement de distance en distance. La notion d'infini est suggérée par la multiplicité des prairies dans lesquelles paissent les brebis qui défilent pendant son voyage. Chacun peut avoir la même vision depuis lle train. Les haies qui entourent les prairies dans lesquelles paissent les moutons sont composées défilent sous le regard de Verlaine depuis la route. Stickney est situé en pleine campagne et spécialisé dans l'élevage des moutons et des chevaux. Verlaine compare cette monotonie de paysage de taches blanches à une mer claire, nous sommes au printemps mais il y a peu de brouillard, habituel dans cette région au Nord de Londres proche de la mer. On peut supposer que les arbustes des haies sont en fleurs, certains de couleur blanche dessineraient des moutons qui viendrait s'ajouter aux moutons bien réels parqués dans les paturages. Verlaine, on le sait est aussi un peintre qui procède ici par petites touches pour reconstituer son paysage familier de la campagne anglaise avec ses chevaux et ses moutons. Ce poème, on le sait a été écrit, le soir, lorsque les animaux rentrent à leur bergerie, sont en mouvement. Verlaine utilise le verbe moutonner à dessein. Il souhaite avant tout reconquérir, une fois de plus, le coeur de Mathilde, avec ce recueil "Sagesse" qui lui est destiné. Moutonner renvoie aussi aux déplacements collectifs des moutons nombreux mais regroupés et qui vu depuis la route lui donne l'aspect d'une mer agitée couverte d'écume, une mer claire car la couleur blanche est dominante. Si le moutonnement est bien réel ici puisque des moutons composent le paysage, il apparait également se refléter dans le ciel couleur de lait et donne à, son tableau une profondeur, une réalité surprenante. Avec l'emploi de moutonner, mouton et plus loin de brebis, Verlaine veut également nous faire comprendre qu'il est revenu à la normalité, qu'il ne dépasse plus des autres, qu'il est devenu docile comme le mouton et a retrouvé la blancheur, la pureté et la douceur de son lainage.

II-La douceur du paysage anglais

Dans ce paysage de campagne, rien de plus normal que d'y trouver des arbres, des moulins car la région est ventée. Les arbres sont légers, harmonieux, l'herbe verte et tendre est un paradis pour les jeunes poulains qui viennent de naître au printemps et qui trouvent ici un terrain de jeu idéal près de leur mère. Les dimanches dans la solitude sont souvent tristes pour Verlaine mais il se console en regardant jouer de grandes brebis douces comme jadis dans sa prison il regardait de sa cellule, un arbre qui berçait sa palme comme une femme berce un enfant. Dans la dernière strophe, "Tout à l'heure déferlait l'onde" renvoie au retour des moutons, le soir dans leur bergerie car on attache à leur cou des clochettes. Le mot cloche est ici utilisé pour amplifier le son collectif du troupeau. Le troupeau de moutons, habituellement lent, accélère et déferle le soir pour rentrer à la bergerie, longe des haies sinueuses donnant à leur trajet la forme d'une spirale. La flute est ici empruntée à la mythologie dans laquelle les faunes et les bergers jouaient de la flute.
III-La vie avec Mathilde à reconquérir
Ce qui est frappant dans ce poème, ce sont les répétions de termes à chaque strophe. Dans la première strophe, l'adjectif clair employé d'abord au féminin lorsqu'il qualifie la mer et au masculin en adjectif de brouillard, met en avant la prépondérence du féminin, ici en enjambement, en désunion, sur le masculin. C'est une intention volontaire de Verlaine à l'intention de Mathilde à laquelle ce texte est destiné pour lui dire que maintenant il veut rester derrière elle comme un mouton et la suivre. Dans la seconde strophe on trouve tendre et s'étendre (rime), ce qui confirme la volonté de Verlaine de revenir vers elle, puis dans la troisième strophe le terme aussi est utilisé en adverbe pour signifier également après jouer et pour exprimer une égalité dans "De grandes brebis aussi douces que leur laine blanche. Ces répétitions sont des insistances de Verlaine pour mettre l'accent sur les termes qu'il privilégie, par un jeu d'assonances et d'allitérations difficile cependant à réaliser dans un texte aussi court. On retrouve le plus souvent la douceur du "s" et le son "ai" du bêlement de l'agneau. Verlaine associe constamment la blancheur à la pureté, à la douceur, par la laine blanche, le ciel blanc. Cette couleur est douce au regard et donc au toucher. Verlaine a retrouvé dans cette campagne anglaise la pureté des jeunes poulains ou des jeunes agneaux qui batifolent près de leur mère autour des fermes.


Conclusion
Dans L'échelonnement des haies, poème écrit pour séduire Mathilde en vue d'une reconciliation, Verlaine utilise ce qui est souvent le cas en poésie toutes les connotations des mots. Malgré la simplicité du vocabulaire, Verlaine réalise ici un poème d'amour pour Mathilde et réussit à nous convaincre qu'il a réellement changé, se prenant de passion pour la campagne qu'il exécrait jadis contrairement à son ami Rimbaud qui lui n'était heureuxx qu'en battant la campagne. Dans ce poème Verlaine met tous nos sens sont en éveil, la vue avec les images visuelles qui se succèdent, les odeurs avec celles des baies, les sons avec les cloches autour du cou des moutons, le toucher avec la douceur de la laine. "L'échelonnement des haies" est un magnifique poème qui méritait bien d'être sujet de Bac 2006 même pour des sections littéraires.

Vocabulaire

Echelonnement
Placer de distance en distance


Stickney
Stickney, est situé en pleine campagne au Nord de Boston, petite ville au nord de Londres, en Angleterre.

Sagesse
Modération, prudence, circonspection. Conduite de quelqu'un qui allie modération et connaissance, docile, réservé sur sa conduite.

Haies
Clôture faite d'arbustes, d'épines ou de branches entrelacées.

Baies
Fruit très charnu, à pépins (raisin, tomate, orange), généralement fruit des arbustes.

Moutonne
Se couvrir de vagues écumeuses en parlant de la mer ou se couvrir de petits nuages blancs en parlant du ciel. Ici les haies qui bordent les champs sont en fleurs, de couleur blanche, nous sommes au printemps 1875.

Déferle
Se briser en écume en parlant de la mer, se répandre avec abondance

Onde
Déformation à la surface d'une nappe liquide, mouvement ondulatoire

Axe de lecture donnés
Sujet proposé au baccalauréat technique 2006.
- vous analyserez comment le recours aux sensations contribue à construire le paysage ;
- vous étudierez comment le poète parvient à créer une atmosphère en accord avec le titre du recueil dont est extrait le poème.

L'historique de la liaison Verlaine/Rimbaud
En septembre 1871, Rimbaud débarque à Paris, invité par Verlaine à qui il a envoyé ses poèmes. Verlaine, de 10 ans plus âgé que lui, est fasciné et tombe sous le charme. Rimbaud, lui, voit en Verlaine un compagnon capable de le suivre dans sa quête de Voyant, et considère son homosexualité comme une étape de son expérience de la connaissance universelle. Hélas ! Verlaine est un être soumis, tiraillé entre l'amour qu'il éprouve pour sa femme Mathilde et sa passion pour Rimbaud. Ils vivront moins de deux ans ensemble, vie commune qui s'achèvera par un drame. A la suite de différents Verlaine quitta seul Londres et Rimbaud sur son insistance le rejoignit à Bruxelles le 8 juillet. A quatre heures le 10, Verlaine entra dans la chambre, ivre, un pistolet au poing qu'il venait d'acheter chez l'armurier de la galerie Saint-Hubert. Pour l'empêcher de partir, il tira sur Rimbaud et le blessa au poignet gauche. Rimbaud se fit mettre un bandage, et, désirant toujours retourner à Paris, se rendit à la gare du Midi. Mais sur le chemin, un faux geste de Verlaine alarma Rimbaud, fiévreux : il prit peur qu'il sortit à nouveau son revolver et appela un agent de police. Tous deux furent conduits au poste pour un premier interrogatoire par le commissaire, suivi d'autres, de dépositions et de déclarations, puis finalement de l'acte de renonciation de Rimbaud.
Verlaine fut incarcéré à la prison de Mons. Rimbaud, quant à lui, retourna chez lui, dans les Ardennes, et y écrivit Une saison en enfer. Rimbaud s'enfuira ensuite en Europe puis en Afrique et effacera son existence passée dont il parlera une fois comme de " souillures ". Verlaine, lui, ne l'oubliera jamais, et contribuera à la postérité de l'œuvre de son ancien amant.

Liste des poèmes de Sagesse

I
I-Bon chevalier masqué ...
II-J'avais peiné comme Sisyphe ...
III-Qu'en dis-tu, voyageur, ...
IV-Malheureux ! Tous les dons, ...
V-Beauté des femmes, ...
VI-Ô vous, comme un qui boite ...
VII-Les faux beaux jours .. .
VIII-La vie humble ...
IX-Sagesse d'un Louis Racine, ...
X-Non. Il fut gallican, ...
XI- Petits amis qui sûtes ...
XII-Or, vous voici promus, ...
XIII-Prince mort en soldat ...
XIV-Vous reviendrez bientôt, ...
XV-On n'offense que Dieu ...
XVI-Écoutez la chanson ...
XVII-Les chères mains ...
XVIII-Et j'ai revu l'enfant unique ...
XIX-Voix de l'Orgueil ...
XX-L'ennemi se déguise ...
XXI-Va ton chemin ...
XXII-Pourquoi triste, ô mon âme ...
XXIII-Né l'enfant ...
XXIV-L'âme antique était rude ...

II
I-Ô mon Dieu ...
II-Je ne veux plus aimer ...
III-Vous êtes calme, ...
IV-1-Mon Dieu m'a dit ...
IV-2-J'ai répondu : " Seigneur, ...
IV-3-Il faut m'aimer ! ...
IV-4-Seigneur, c'est trop ! ...
IV-5-Il faut m'aimer. Je suis ces Fous ...
IV-6-Seigneur, j'ai peur...
IV-7-Certes, si tu le veux mériter ...
IV-8-Ah ! Seigneur, qu'ai-je ? ...
IV-9-Pauvre âme, c'est cela !

III
I-Désormais le Sage ...
II-Du fond du grabat ...
III-L'espoir luit comme ...
IV-Gaspard Hauser chante ...
V-Un grand sommeil noir ...
VI-Le ciel est, par-dessus le toit ...
VII-Je ne sais pourquoi ...
VIII-Parfums, couleurs, ...
IX-Le son du cor s'afflige ...
X-La tristesse, la langueur ...
XI-La bise se rue à travers ...
XII-Vous voilà, vous voilà, ..
.

XIII-L'échelonnement des haies ...
XIV-L'immensité de l'humanité ...
XV-La mer est plus belle ...
XVI-La " grande ville " ...
XVII-Tournez, tournez, bons c hevaux de bois,..
XVIII-Toutes les amours de la terre ...
XIX-Sainte Thérèse veut ...
XX-Parisien mon frère ...
XXI-C'est la fête du blé, ...



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