12/07/2022
Verlaine expliqué : Sagesse
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Paul VERLAINE : Écoutez la chanson bien douce (1878) Sagesse I/XVI


Arthur Rimbaud


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Poème : Écoutez la chanson bien douce


" Écoutez la chanson bien douce " est le 16ème poème du recueil I de Sagesse


Les poèmes du recueil sagesse ne comportent aucun titre mais un simple numéro de recueil, I, II ou III suivi de son numéro d'ordre.

Écoutez la chanson bien douce
Qui ne pleure que pour vous plaire.

Elle est discrète, elle est légère :
Un frisson d'eau sur de la mousse !

La voix vous fut connue (et chère ?)
Mais à présent elle est voilée
Comme une veuve désolée,
Pourtant comme elle encore fière,

Et dans les longs plis de son voile
Qui palpite aux brises d'automne,
Cache et montre au cœur qui s'étonne
La vérité comme une étoile.

Elle dit, la voix reconnue,
Que la bonté c'est notre vie,
Que de la haine et de l'envie
Rien ne reste, la mort venue.

Elle parle aussi de la gloire
D’être simple sans plus attendre,
Et de noces d’or et du tendre
Bonheur d’une paix sans victoire.

Accueillez la voix qui persiste
Dans son naïf épithalame
Allez, rien n'est meilleur à l'âme
Que de faire une âme moins triste !

Elle est en peine et de passage
L'âme qui souffre sans colère,
Et comme sa morale est claire !...
Écoutez la chanson bien sage.

Épithalame : chant célébrant un mariage

Éléments de syntaxe :
Verlaine préfère coordonner les éléments de la phrase (le plus souvent par et) plutôt que les subordonner. La coordination convient mieux au rendu des sensations vagues ou des impressions éphémères que les conjonctions de subordination, mieux adaptées au maniement des concepts. Par exemple lorsque Verlaine évoque son nouvel idéal dans l'avant dernier vers "Et comme la morale est claire !....La ponctuation en forme d'exclamation suspensive n'emportera pas l'adhésion de Mathilde.

Commentaire rédigé

On sait que le poète avait l'espoir en 1878, date à laquelle le poème fut écrit, de persuader Mathilde Mauté de reprendre la vie conjugale... d'où le qualificatif de "tendre prière" qui a été donné à cette pièce, la candeur - feinte ou sincère - que l'on a relevé dans les vers ainsi que le choix des mots : "Écoutez" "Accueillez" "épithalame" qui est le nom d'un chant célébrant le mariage !

Le repentir de Verlaine
Poète maudit ? Poète populaire ? Paul Verlaine, par sa fragilité et sa violence, sa tendresse et ses dérèglements nous choque profondément mais sait aussi mieux que personne nous émouvoir et nous apitoyer sur sa condition. Verlaine semble un peu vite oublier dans ce poème la gravité de ses torts dans la fin rapide de son mariage avec Mathilde Mauté, une jeune fille de 16 ans (il en a 26). Dans La Bonne chanson Verlaine avait célébré sa petite fiancée, un "Etre de lumière" qu'il allait épouser et avait chanté son amour et ses bonnes résolutions dans des vers simples et intimes. Dans ce poème Verlaine demande à Mathilde d'écoutez son chant d'amour, une chanson bien douce à laquelle il ajoutera en fin de poème une autre qualité, la sagesse. Pendant ses deux années de prison 74/75, Verlaine éprouve d'amers regrets et un repentir sincère. Il voudrait reprendre la vie commune avec Mathilde mais ayant appris qu'elle a obtenu en mai 1874 la séparation, il en éprouve une douleur cruelle qui achève de la ramener à Dieu. Il reconnaît avoir erré dans la corruption et obtenus des chagrins mérités, un avertissement divin en quelque sorte. Après sa libération Verlaine s'efforce de vivre selon son idéal chrétien. S'il déplore sa propre faiblesse, cause de ses malheurs, il nous apparaît pauvre pécheur et demande pardon, le vieux cœur flétri et souillé fait place à un jeune cœur lavé par la souffrance et par la grâce tout vibrant d'amour.

L'intimité Verlainienne

Espoir et tristesse, candeur et habileté, appel pathétique et confidence murmurée, tels sont les succès de l'intimité Verlainienne. C'est par les inflexions de la voix que Verlaine argumente. La voix qui chante l'amour et qui fut chère à Mathilde sanglote désormais ou plutôt frissonne, palpite. Elle s'est obscurcie, voilée mais garde des tonalités de grandeur. Si on reconnaît cette voix, elle parle de bonheur dans la simplicité, dans la bonté. Par habileté et comme pour emporter l'adhésion de Mathilde il lui dit "allez", rien ne sert de souffrir.

Une simplicité sans attente

Charnière du poème, la chanson douce "parle aussi de gloire" et "d'être simple sans plus attendre", du "bonheur d'une paix sans victoire". La conversion de Verlaine, un appel divin, implique inévitablement des changements au concret de l'existence, notamment un abandon des rêves de gloire littéraire et de vie facile. Verlaine veut désormais s'ensevelir dans une existence calme et sans histoire, une "vie humble aux travaux ennuyeux et faciles". Mais si "l'enfer c'est l'absence", Verlaine éprouve toujours ce besoin de compagnie. La compagnie que Mathilde lui refusera, il la trouvera avec un de ses élèves Lucien Létinois dans une expérience de travaux agricoles qui persistera quelques mois.

Conclusion

Poème touchant, pathétique, écoutez la chanson bien douce traduit le nouvel idéal chrétien du poète après son internement. Sa chanson nous émeut, son repentir parait sincère. Toutefois nul n'est assez naïf, ni même lui-même, pour croire que sa nouvelle morale qu'il qualifie de claire en fin de poème durera bien longtemps.

Situation de Verlaine à la date du poème 1878.
Juillet 1873
A Bruxelles au cours d'une violente dispute Verlaine tire un coup de revolver sur Rimbaud. Celui-ci n'est que légèrement blessé, mais Verlaine est condamné à deux ans de prison pour tentative d'homicide. Il purge une peine de prison à la maison d'arrêt de Mons en Belgique.
Mars 1874 Romances sans paroles
Août 1874 Brusque conversion religieuse de Verlaine qui avait perdu la foi depuis l'enfance. Détendu heureux, Verlaine apprend le dogme catholique. Sous l'influence de ses lectures Il se rapproche du courant monarchiste et traditionaliste.
Janvier 1875 Fin de la détention. Vaine tentative pour "convertir" Rimbaud
1875-1877 (31-33 ans) Verlaine devient professeur dans un pensionnat anglais du Lincolnshire. Vie calme et heureuse.
Oct 77/juillet 1879 Verlaine est professeur dans un collège religieux de Rethel (Ardennes). Après une conduite exemplaire, il se remet à boire et fait scandale. Il se prend d'une affection toute paternelle pour un de ses élèves Lucien Létinois âgé de 18 ans.
Fin 1879 Verlaine et Létinois travaillent quelques mois comme professeur et surveillant dans une école anglaise.
1880 La mère de Verlaine consacre ses économies à l'achat d'une ferme dans les Ardennes pour son fils. Verlaine et Létinois cultivent la terre.
1882 Fin de l'expérience agricole de Verlaine.

Liste des poèmes de Sagesse

Préface de la première édition
I
I-Bon chevalier masqué ...
II-J'avais peiné comme Sisyphe ...
III-Qu'en dis-tu, voyageur, ...
IV-Malheureux ! Tous les dons, ...
V-Beauté des femmes, ...
VI-Ô vous, comme un qui boite ...
VII-Les faux beaux jours .. .
VIII-La vie humble ...
IX-Sagesse d'un Louis Racine, ...
X-Non. Il fut gallican, ...
XI- Petits amis qui sûtes ...
XII-Or, vous voici promus, ...
XIII-Prince mort en soldat ...
XIV-Vous reviendrez bientôt, ...
XV-On n'offense que Dieu ...
XVI-Écoutez la chanson ...
XVII-Les chères mains ...
XVIII-Et j'ai revu l'enfant unique ...
XIX-Voix de l'Orgueil ...
XX-L'ennemi se déguise ...
XXI-Va ton chemin ...
XXII-Pourquoi triste, ô mon âme ...
XXIII-Né l'enfant ...
XXIV-L'âme antique était rude ...
II
I-Ô mon Dieu ...
II-Je ne veux plus aimer ...
III-Vous êtes calme, ...
IV-1-Mon Dieu m'a dit ...
IV-2-J'ai répondu : " Seigneur, ...
IV-3-Il faut m'aimer ! ...
IV-4-Seigneur, c'est trop ! ...
IV-5-Il faut m'aimer. Je suis ces Fous ...
IV-6-Seigneur, j'ai peur...
IV-7-Certes, si tu le veux mériter ...
IV-8-Ah ! Seigneur, qu'ai-je ? ...
IV-9-Pauvre âme, c'est cela !
III
I-Désormais le Sage ...
II-Du fond du grabat ...
III-L'espoir luit comme ...
IV-Gaspard Hauser chante ...
V-Un grand sommeil noir ...
VI-Le ciel est, par-dessus le toit ...
VII-Je ne sais pourquoi ...
VIII-Parfums, couleurs, ...
IX-Le son du cor s'afflige ...
X-La tristesse, la langueur ...
XI-La bise se rue à travers ...
XII-Vous voilà, vous voilà, ...
XIII-L'échelonnement des haies ...
XIV-L'immensité de l'humanité ...
XV-La mer est plus belle ...
XVI-La " grande ville " ...
XVII-Tournez, tournez, bons c hevaux de bois,..
XVIII-Toutes les amours de la terre ...
XIX-Sainte Thérèse veut ...
XX-Parisien mon frère ...
XXI-C'est la fête du blé, ...



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