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Poème :
Je ne sais pourquoi
"Je ne sais
pourquoi" est 7ème poème de la 3ème section de "Sagesse"
Je ne sais pourquoi
Mon esprit amer
D'une aile inquiète et folle vole sur la mer.
Tout ce qui m'est cher,
D'une aile d'effroi
Mon amour le couve au ras des flots. Pourquoi, pourquoi ?
Mouette à l'essor mélancolique,
Elle suit la vague, ma pensée,
À tous les vents du ciel balancée,
Et biaisant quand la marée oblique,
Mouette à l'essor mélancolique.
Ivre de soleil
Et de liberté,
Un instinct la guide à travers cette immensité.
La brise d'été
Sur le flot vermeil
Doucement la porte en un tiède demi-sommeil.
Parfois si tristement elle crie
Qu'elle alarme au loin le pilote,
Puis au gré du vent se livre et flotte
Et plonge, et l'aile toute meurtrie
Revole, et puis si tristement crie !
Je ne sais pourquoi
Mon esprit amer
D'une aile inquiète et folle vole sur la mer.
Tout ce qui m'est cher,
D'une aile d'effroi
Mon amour le couve au ras des flots. Pourquoi, pourquoi ? |
Éléments
de syntaxe :
Verlaine préfère coordonner les éléments
de la phrase (le plus souvent par et) plutôt que les subordonner. La coordination
convient mieux au rendu des sensations vagues ou des impressions éphémères
que les conjonctions de subordination, mieux adaptées au maniement des
concepts. Par exemple lorsque Verlaine évoque son idéal féminin
dans " Mon rêve familier " ou ici " Et je tremble..",
" Et qu'il vous suffirait d'un geste".
Commentaire
rédigé
C'est toujours avec beaucoup de douceur que Verlaine nous suggère son "paysage intérieur" lié au souvenir de Rimbaud et à
leurs traversées maritimes , à ses difficultés existentielles
que le vol et les cris de l'oiseau marin dévoilent... Le thème du
poète-oiseau est particulièrement fréquent au XIXe siècle.
On trouve un Albatros chez Baudelaire, un pélican chez Musset,
un condor chez Leconte de Lisle, un cygne chez Mallarmé et
ici une mouette.
Le
souvenir de la rupture avec Rimbaud
Le poème "Je ne sais pourquoi" fait partie du recueil "Sagesse" publié en 1881 et a été écrit en prison.
Verlaine qui a été incarcéré pour avoir tiré
sur son ami Rimbaud veut chasser les voix impures de la haine et écouter
la voix terrible de l'amour. Il ne sait pas pourquoi il n'en veut pas à
son ami Rimbaud qui l'a abandonné. Au contraire il l'aime toujours (il
ne le reverra cependant jamais) et veut conserver de lui les bons souvenirs des traversées maritimes effectuées avec lui entre l'Angleterre
et la France quelques années plus tôt. Il a suivi Rimbaud, par instinct,
par ivresse de soleil et liberté pour échapper à son
obsession d'un esclave martyrisé par le temps. L'ivresse comme un remède
à l'horrible fardeau du temps rappelle le poème de Baudelaire "Enivrez-vous", de vin, de poésie et de vertu.
L'identification
de la mouette et du poète
Reprenant le même procédé que Baudelaire avec l'Albatros,
l'assimilation de la mouette et du poète s'effectue par divers procédés.
Verlaine met l'accent sur la valeur générale et symbolique de l'oiseau en supprimant tout article "Mouette à l'essor mélancolique".
La correspondance entre l'oiseau et le poète s'établit ensuite par
une juxtaposition " Elle suit la vague, ma pensée ". Elle
se termine par une image de mère poule qui couve ses petits sous
son aile protectrice.
La mouette, un oiseau marin
peureux et crieur
La signification symbolique du poème se
lit surtout dans l'image de l'oiseau. A ce dernier est associé une sensation
auditive agressive, un cri qu'atténue le qualificatif de tristement.
Ce n'est pas un cri de douleur mais une sorte de plainte, d'appel au secours.
Si la mouette peut annoncer le rivage à quelque naufragé, elle suit
surtout d'instinct les bateaux de pêche à la recherche de poissons
rejetés à la mer. Son vol n'a rien de majestueux, il est irrégulier,
son aile parait "d'effroi" "inquiète et folle".
Sa liaison avec Rimbaud était considérée au XIXe comme de
la folie.
Les brisures du rythme
Les
strophes sont composées de vers inégaux. Les premières,
troisième et cinquième strophe contiennent six vers de longueur
inégale, et deux strophes contiennent des octosyllabes. Cette hétérométrique provoque un rythme irrégulier, cassé qui reflète
une âme bouleversée. Les seules strophes régulières
sont celles ou il nous parle de sa pensée vagabonde et de son parcours
poétique plutôt classique d'inspiration " mélancolique
" et "biaisant", obliquant selon les circonstances.
Les
difficultés existentielles
Dans "je ne sais pourquoi", Verlaine reprend un thème littéraire traditionnel de la
littérature romantique, les difficultés de l'existence. Il
n'arrive pas à fixer sa pensée "à tous les vents balancée". Verlaine est convaincu de la supériorité du poète,
dont la conscience est liée à un univers aérien et
céleste. Mais spiritualité et matérialité, ciel et
terre s'opposent. La mouette qui quitte son univers céleste pour plonger
dans un univers qui n'est pas le sien, la mer, en ressort meurtrie.
Un sentiment d'incompréhension
En répétant en fin de poème la première strophe,
Verlaine insiste sur son incompréhension qu'ajoute encore le doublement
de l'interrogation pourquoi. Verlaine est assurément triste d'avoir
perdu son ami et doit se rappeler les lettres de son ami Rimbaud qui lui demandait
en 1973 de revenir à Londres après son départ. Verlaine joue
sur l'analogie poète-oiseau pour nous donner l'image d'un bonheur perdu,
celui d'un poète qui protégeait sous son aile protectrice un poète
enfant appelé Rimbaud.
Conclusion
Poème symboliste, je ne sais pourquoi nous rappelle la fascination
de Rimbaud pour Verlaine. Quelques années plus tôt, il a tout quitté
pour le suivre. Verlaine écrira d'autres poèmes sur son ancien ami.
Ici il utilise le thème du poète-oiseau avec son chant et s'apparente
au travail du musicien qui cherche à atteindre la sensibilité, à
communiquer des impressions et suggérer plus qu'à peindre par l'agencement
mystérieux et harmonieux des mots et leur transfiguration symbolique.
L'historique
de la liaison Verlaine/Rimbaud
En septembre 1871, Rimbaud débarque
à Paris, invité par Verlaine à qui il a envoyé ses
poèmes. Verlaine, de 10 ans plus âgé que lui, est fasciné
et tombe sous le charme. Rimbaud, lui, voit en Verlaine un compagnon capable de
le suivre dans sa quête de Voyant, et considère son homosexualité
comme une étape de son expérience de la connaissance universelle. Hélas
! Verlaine est un être soumis, tiraillé entre l'amour qu'il éprouve
pour sa femme Mathilde et sa passion pour Rimbaud. Ils vivront moins
de deux ans ensemble, vie commune qui s'achèvera par un drame. A la suite
de différents Verlaine quitta seul Londres et Rimbaud sur
son insistance le rejoignit à Bruxelles le 8 juillet. A quatre heures le
10, Verlaine entra dans la chambre, ivre, un pistolet au poing qu'il venait d'acheter
chez l'armurier de la galerie Saint-Hubert. Pour l'empêcher de partir, il
tira sur Rimbaud et le blessa au poignet gauche. Rimbaud se fit mettre
un bandage, et, désirant toujours retourner à Paris, se rendit à
la gare du Midi. Mais sur le chemin, un faux geste de Verlaine alarma Rimbaud,
fiévreux : il prit peur qu'il sortit à nouveau son revolver et appela
un agent de police. Tous deux furent conduits au poste pour un premier
interrogatoire par le commissaire, suivi d'autres, de dépositions et de
déclarations, puis finalement de l'acte de renonciation de Rimbaud.
Verlaine fut incarcéré à la prison de Mons.
Rimbaud, quant à lui, retourna chez lui, dans les Ardennes, et y écrivit Une saison en enfer. Rimbaud s'enfuira ensuite en Europe puis en Afrique et effacera son existence passée
dont il parlera une fois comme de " souillures ". Verlaine, lui, ne
l'oubliera jamais, et contribuera à la postérité de l'oeuvre
de son ancien amant.
Liste des poèmes de Sagesse
Préface de la première édition
I
I-Bon chevalier masqué ...
II-J'avais peiné comme Sisyphe ...
III-Qu'en dis-tu, voyageur, ...
IV-Malheureux ! Tous les dons, ...
V-Beauté des femmes, ...
VI-Ô vous, comme un qui boite ...
VII-Les faux beaux jours .. .
VIII-La vie humble ...
IX-Sagesse d'un Louis Racine, ...
X-Non. Il fut gallican, ...
XI- Petits amis qui sûtes ...
XII-Or, vous voici promus, ...
XIII-Prince mort en soldat ...
XIV-Vous reviendrez bientôt, ...
XV-On n'offense que Dieu ...
XVI-Écoutez la chanson ...
XVII-Les chères mains ...
XVIII-Et j'ai revu l'enfant unique ...
XIX-Voix de l'Orgueil ...
XX-L'ennemi se déguise ...
XXI-Va ton chemin ...
XXII-Pourquoi triste, ô mon âme ...
XXIII-Né l'enfant ...
XXIV-L'âme antique était rude ...
II
I-Ô mon Dieu ...
II-Je ne veux plus aimer ...
III-Vous êtes calme, ...
IV-1-Mon Dieu m'a dit ...
IV-2-J'ai répondu : " Seigneur, ...
IV-3-Il faut m'aimer ! ...
IV-4-Seigneur, c'est trop ! ...
IV-5-Il faut m'aimer. Je suis ces Fous ...
IV-6-Seigneur, j'ai peur...
IV-7-Certes, si tu le veux mériter ...
IV-8-Ah ! Seigneur, qu'ai-je ? ...
IV-9-Pauvre âme, c'est cela !
III
I-Désormais le Sage ...
II-Du fond du grabat ...
III-L'espoir luit comme ...
IV-Gaspard Hauser chante ...
V-Un grand sommeil noir ...
VI-Le ciel est, par-dessus le toit ...
VII-Je ne sais pourquoi ...
VIII-Parfums, couleurs, ...
IX-Le son du cor s'afflige ...
X-La tristesse, la langueur ...
XI-La bise se rue à travers ...
XII-Vous voilà, vous voilà, ...
XIII-L'échelonnement des haies ...
XIV-L'immensité de l'humanité ...
XV-La mer est plus belle ...
XVI-La " grande ville " ...
XVII-Tournez, tournez, bons c hevaux de bois,..
XVIII-Toutes les amours de la terre ...
XIX-Sainte Thérèse veut ...
XX-Parisien mon frère ...
XXI-C'est la fête du blé, ...
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