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Promenade-pélerinage à l'île de Cythère de Watteau, détail (Louvre)
Poème :
A la promenade
" A la promenade " est le 5ème poème sur 22 du recueil "Fêtes galantes"
La liste des pèmes des fêtes galantes
Le
ciel si pâle et les arbres si grêles
Semblent sourire à
nos costumes clairs
Qui vont flottant légers, avec des airs
De
nonchalance et des mouvements d'ailes.
Et
le vent doux ride l'humble bassin, Et la lueur du soleil qu'atténue
L'ombre des bas tilleuls de l'avenue
Nous parvient bleue et mourante à
dessein.
Trompeurs exquis et coquettes charmantes,
Cœurs tendres, mais affranchis du serment,
Nous devisons délicieusement,
Et les amants lutinent les amantes,
De
qui la main imperceptible sait
Parfois donner un soufflet, qu'on échange
Contre un baiser sur l'extrême phalange
Du petit doigt, et comme la
chose est
Immensément
excessive et farouche,
On est puni par un regard très sec,
Lequel
contraste, au demeurant, avec
La moue assez clémente de la bouche. |
Les 22 poèmes de Fêtes galantes
1-Clair de lune
2-Pantomine
3-Sur l'herbe
4-L'allée
5-A la promenade
6-Dans la grotte
7-Les ingénus
8-Cortège
9-Les coquillages
10-En patinant
11-Fantoches
12-Cythère
13-En bateau
14-Le faune
15-Mandoline
16-A Clymène
17-Lettre
18-Les indolents
19-Colombine
20-L'amour par terre
21-En sourdine
22-Colloque sentimental
Plan de commentaire
1-Un paysage évanescent
2-La rencontre amoureuse
3-La comédie amoureuse
Introduction
Ce poème « A la promenade » reprend les principales caractéristiques des Fêtes galantes , un décor champêtre, ici un parc bien entretenu formé d'une allée de tilleuls, d'un bassin d'eau. On retrouve des personnages costumés et nonchalants qui hantent les lieux. Fidèle à sa technique Verlaine nous fait d'abord une vue d'ensemble du décor et de ses personnages pour ensuite faire un plan plus rapproché sur ce qui lui parait essentiel une petite scène de comédie amoureuse puis le poème s'achève sur un gros plan, celui de l'expression d'un visage.
1 des paysages évanescents
A l'évidence Verlaine éprouve une prédilection
obsessionnelle pour les couleurs pâles, froides
et ternes, l'évanescent. "Pas la couleur, rien que la nuance"
affirme Verlaine dans son "Art poétique". C'est qu'il
n'y a jamais de frontière entre le paysage verlainien
et ses états d'âme. La première strophe
pose le décor, un ciel froid, des arbres menus qu'accentue l'adverbe
si. Dans ce décor évanescent apparaissent
des silhouettes de personnages portant des costumes clairs, légers,
qui flottent comme les nuages dans l'air. Il y a cependant de la
douceur dans le décor et dans les mouvement des personnages
qui se correspondent. Pour amplifier la fusion entre
le décor et les acteurs, fusion si fréquente dans les Fêtes
galantes, Verlaine utilise la métaphore de l'oiseau.
L'impression phonique est ici celle de la légèreté
avec des allitération de la consonne fluide "
L", (pale, grêle, clair, flotte, léger, nonchalance,
aile) et le vocalisme "è", très doux,
(grêles – clairs – airs – ailes). Verlaine à la façon
d'un peintre ajoute à son décor des jeux d'ombre
et de lumière. Le décor qui doit devenir le lieu de la comédie
amoureuse est adouci par un subtil jeu d'ombre provoqué
par la présence d'arbres bas. Le vent est doux. L'éclat
lumineux du soleil est amorti par l'écran des
tilleuls, et forme comme une pénombre propice
aux débats amoureux. La description du décor verlainien
n'est jamais construite de façon architecturale mais s'opère
dans l'ordre de la prise de conscience, en partant des impressions les
plus fortes, puis en affinant par quelques détails à
la manière des Impressionnistes.
2-La rencontre amoureuse
On retrouve dans ce poème les mêmes thèmes de la
fête, de la rencontre, du jeu que l'on retrouve dans "Cortège",
"Cythère", "En bateau" ou "Colloque sentimental".
Les personnages, des soupirants, sont définis
par les rôles qu'ils jouent dans le jeu de la séduction
amoureuse, ce sont des trompeurs exquis ou des coquettes
charmantes. Avec les qualificatifs d'exquis ou de charmant,
nous avons affaire, comme toujours dans ces Fêtes galantes, à
des êtres raffinés mais dont le but avoué
est la seule recherche du plaisir et non une liaison
amoureuse durable qui se terminerait par un serment officiel
de mariage. Les personnages sont charmants à l'image
de leurs discours, ils devisent délicieusement.
L'emploi du verbe "deviser" suggère un élégant
badinage amoureux, dans la tradition galante de la société
française du XVIIIème siècle, élégante
et frivole. Verlaine est un habile utilisateur de l'hyperbole,
il introduit ici l'adverbe "délicieusement" qui avec
la diérèse "ci—eu", et ses six syllabes,
amplifie l'idée qu'il porte, l'idée centrale du poème,
celle d'un plaisir intense et délicat dans ce qui apparaît
comme des frivolités. L'emploi du verbe "lutiner"
qui signifie poursuivre une femme de ses baisers ou de caresse confirme
la quête érotique des soupirants
malgré leur innocence. Dans ce jeu de l'amour, on a l'impression
d'un harcèlement, d'une opposition hommes femmes.
3- une comédie amoureuse
La comédie, hélas tourne parfois au drame. Dans ce
jeu subtil, la maladresse, l'audace, se paie
comptant par un soufflet, un revers de main. Le soupirant,
galant, doit accepter de battre en retraite et recevoir en échange
le pardon d'un baiser mais fait sur l'extrême phalange
du petit doigt. Mais si le soupirant insiste, il est immédiatement
renvoyé et puni d'un regard très sec. La
" moue assez clémente"
de la bouche suffit à montrer qu'il s'agit d'un jeu bien codifié
et que les sentiments sont plus feints que vécus.
Ces Fêtes galantes, cet amour précieux très codifié
est pour la femme l'occasion de mesurer son pouvoir de séduction.
Visiblement, Verlaine s'amuse ici à en caricaturer les raffinements
et il est difficile aujourd'hui de ne pas sourire en lisant ces deux dernières
strophes. Cette ironie apparaît dans de nombreux endroits, notamment
dans la précision du baiser donné avec la dernière
et la plus petite des 3 phalanges du petit doit, la phalangette, la plus
petite partie la main associée au petit doigt
qui connote d'ordinaire l'idée d'une grâce affectée.
L'ironie se poursuit avec le baiser sur le bout du petit doigt qui est
présenté comme un geste excessif et farouche. L'ironie atteint
son zénith dans l'emploi des hyperboles, Verlaine
affuble de l'adverbe immensément, un excès,
qui n'est autre qu'une familiarité, un modeste
baiser sur l'extrémité d'un petit petit doigt. Le poème
s'achève également sur un détail, de coquetterie
féminine, "moue assez clémente de la bouche" traduisant
l'indifférence ou le dédain
pour le soupirant, confirmant le caprice de l'amante qu'il raille au passage.
Le recours à l'hyperbole, déjà mentionnée,
dans l'expression "immensément excessive", où
l'adverbe redouble l'adjectif, superlatif par lui-même, l'emploi
d'adjectifs ou d'adverbes à valeur superlative, dans l'ordre du
petit comme du grand, reflète la tendance précieuse
à amplifier les moindres nuances. L'amant apparaît
comme un enfant soumis, on retrouve toute l'indétermination
de Verlaine avec les femmes. Quant à la versification, elle est
maniérée à l'image de l'amante, les vers enjambent
fréquemment les uns sur les autres, ajoutant aux rejets,
celui de l'amant.
Conclusion
Ce poème illustre plusieurs facettes de l'art de Verlaine dans les Fêtes galantes. Le poète sait merveilleusement suggérer le lien étroit entre le décor, et les personnages qui semblent une émanation du décor. II réussit à nous rendre sensible à la grâce d'une petite société aristocratique, et en même temps à la railler : il épingle les travers de la préciosité, avec des subtilités stylistiques dignes de son objet.
Vocabulaire
Pâle :
Se dit d’un teint peu coloré, d'une blancheur terne, se dit aussi d'une couleur dont la tonalité est atténuée, ciel pâle (ne pas oublier l'accent circonflexe sur le â).
Évanescent :
Qui disparaît pas degré, qui s'efface peu à peu, qui ne dure pas.
Grêle :
Long et menu, des jambes grêles, des arbres grêles.
Nonchalance :
Absence d'ardeur, d'énergie, de zèle, manque de vivacité, lenteur.
Coquette :
Bien mise, élégant, qui cherche à plaire. Au théâtre une coquette est une jeune femme séduisante.
Frivolités :
Qui a peu de sérieux et d'importance, léger, futile.
Lutiner :
Poursuivre une femme de ses baisers, de ses caresses
Soufflet :
Coup donné avec le plat ou le revers de la main.
Phalange :
Chacun des segments articulés qui composent les doigts et les orteils, en principe le premier à partir de la base du doigt, les 2 autres étant la phalangine et la phalangette la plus proche de l'ongle. |