22/09/2023

Verlaine expliqué
: Fêtes galantes


Page accueil

Suite
Paul VERLAINE : En bateau (1869) Fêtes galantes




Cliquer pour agrandir

Le bleu de la mer, les bateaux, le rêve

Poème : En bateau

" En bateau" est le 13ème poème sur 22 de "Fêtes galantes"

La liste des poèmes des fêtes galantes

L'étoile du berger tremblote
Dans l'eau plus noire et le pilote
Cherche un briquet dans sa culotte
.

C'est l'instant, Messieurs, ou jamais,
D'être audacieux, et je mets
Mes deux mains partout désormais !

Le chevalier Atys, qui gratte
Sa guitare, à Chloris l'ingrate
Lanc
e une œillade scélérate.

L'abbé confesse bas Eglé,
Et ce vicomte déréglé
Des champs donne à son cœur la clé.

Cependant la lune se lève
Et l'esquif en sa course brève
File gaîment sur l'eau qui rêve.

Cinq tercets écrits en octosyllabes (vers pairs de 8 syllabes) avec des connotations musicales, guitare, des silences (confessions) 

Poèmes des fêtes galantes
1-Clair de lune
2-Pantomine
3-Sur l'herbe
4-L'allée
5-A la promenade
6-Dans la grotte
7-Les ingénus
8-Cortège
9-Les coquillages
10-En patinant
11-Fantoches
12-Cythère

13-En bateau
14-Le faune
15-Mandoline
16-A Clymène
17-Lettre
18-Les indolents
19-Colombine
20-L'amour par terre
21-En sourdine
22-Colloque sentimental

Plan de commentaire
En bateau est le treizième poème des fêtes galantes. Le titre fait penser au tableau de Watteau "L'embarquement pour Cythère", exposé au Louvre. Dans ce poème on retrouve le thème de la rencontre amoureuse, du jeu de la séduction déjà présent dans d'autres poèmes des fêtes galantes "A la promenade", "Cortège", "Cythère", "Colloque sentimental". Verlaine reprend dans ce poème le même ton désabusé et désenchanté de l'amour à travers un groupe de personnages qui manque assurément d'enthousiasme.

I- Le libertinage amoureux.
En bateau, c'est l'embarquement immédiat pour l'île des plaisirs, des rencontres amoureuses qui pourrait être Cythère. Cythère, autre poème des fêtes galantes est une île grecque où se trouve le sanctuaire d'Aphrodite, déesse de la beauté et de l'amour. Verlaine nous dépeint cette atmosphère propice à la séduction, une ambiance indécise et lunaire. L'embarquement se fait dans le soir crépusculaire modestement éclairé par l'étoile du berger, la planète Vénus, planète visible dès le coucher du soleil. Les lieux sont obscurs, Baudelaire nous avait parlé d'une île triste et noire, Verlaine reprend la couleur, l'eau y est est noire, comme un sinistre présage. Le tremblement est l'image de l'équivoque, de l'imprécision, de l'indécision, thématisé dans le décor mais aussi dans l'attitude des personnages. A l'indécision des passagers s'ajoute la confusion chez le pilote qui cherche quelque chose pour s'éclairer. Verlaine ajoute une note érotique au poème avec cette étoile du berger, Vénus, déesse de l'amour, l'attitude des maints. Pour assouvir ses passions, il faut faire preuve d'audace et ne pas rester indolent. Les deux personnages centraux, un chevalier et un abbé sont ici à contre emploi. Atys dans la littérature ou la musique est amoureux de la nymphe Sangaride, promise à un autre, mais il est aimé d'une déesse qu'il n'aime pas. Eglé est amoureuse du roi d'Athènes Thésée qui la retient captive. Verlaine reprend ici quelques amours impossibles de la littérature.

II- L'amour, la perdition
Qui n'a jamais rêvé, dans sa solitude, de faire une belle rencontre amoureuse ? Le rêve pour Verlaine, c'est un mirage, toute sa vie il essaiera d'y échapper. Le rêve est souvent associé à l'inaction, à la paresse, "arrête de rêver, travaille" entend-on souvent. Pour Verlaine, le rêve est un exode, une sorte de mort pour les vivants qui les arrache à eux-mêmes sans pour autant leur donner la paix. Les rêves représentent bien moins les délices imaginaires qu'un refuge contre une difficulté d'être. Tous les combats de Verlaine se résumeront à cet antagonisme, cet écartèlement entre rêve et réalité, à une lutte contre cette illusion de paradis artificiels. La présence d'un abbé à destination de l'île des rencontres amoureuses, peut paraître étrange, il n'est pas là pour chercher l'âme sœur mais pour recevoir les confessions des uns et des autres, et pourquoi pas favoriser les rencontres. Verlaine ajoute, qu'il s'agit d'un artifice, que la confession n'est qu'un tremplin pour donner libre cours, la clé des champs, à son cœur. On retrouve le thème constant des fêtes galantes, une sorte de danse macabre ou la séduction féminine entraîne les hommes vers un destin fatal. Dans le second personnage, le chevalier, à travers son existence ludique, il joue de la guitare, se cache une souffrance, une indécision. L'œillade assassine n'est pas l'œillade amoureuse mais rien d'autre qu'une volonté de tuer qui n'ose pas s'assumer. C'est un chevalier qui doute, un héros réduit ici au rôle de modeste soupirant, dont l'idéal est de faire régner l'ordre, mais qui n'oserait pas se battre ou tuer son adversaire.

III- Le rêve
Verlaine transpose dans l'écriture la sensibilité devant une peinture recréant ainsi le rêve que l'on peut faire devant un tableau. Dès le premier vers par l'allitération en "b" qui reproduit le moteur d'un bateau, nous avons l'illusion d'un départ, nous sommes arrachés à la réalité et nous nous prenons à rêver. Ce climat de rêve termine aussi le poème, l'eau qui rêve est un paysage prétexte à l'état d'âme cher à Verlaine, le rêve aurait été communiqué par la nature. Le retour des mêmes sonorités dans chaque tercet contribue à produire sur le lecteur un effet d'incantation, d'envoûtement, d'hypnose. Cette incantation phonique est remarquablement dure dans les quatre premiers tercets "ote", "ai", "atte", "é", puis beaucoup plus douce dans le dernier tercet " "ève" comme pour marquer un endormissement final.

Conclusion

Dans ce poème "En bateau", tout porterait à croire à un départ vers milieux enchanteurs, idylliques. Or c'est à une autre réalité que l'on assiste. Dans un décor marin, c'est toute l'ironie de Verlaine sur des soupirants à la recherche d'un eldorado amoureux. A travers la métaphore du paysage marin qui berce les navires, Verlaine nous dépeint tous les artifices mais aussi les illusions d'une société à la recherche de plaisirs.


Vocabulaire

Atys
Atys ne veut ni ne peut aimer. La nymphe Sangaride, fille du fleuve Sangar, aime Atys mais doit épouser Célénus, le roi de Phrygie. Atys surprend sa détresse et lui offre son amour. Survient alors la déesse Cybèle, descendue sur terre pour assister au mariage. Amoureuse d'Atys, elle plonge ce dernier dans un profond sommeil et lui dévoile sa flamme. A son réveil, le jeune homme est bien embarrassé ; que faire ? C'est la nymphe qu'il veut, pas la déesse ! Les deux amants décident malgré tout de se jurer fidélité. Atys, grand sacrificateur de Cybèle, va trouver Sangar et lui ordonne d'annuler le mariage de sa fille. Furieux, Célénus et Cybèle décident de se venger. La déesse envoûte Atys. Celui-ci tue Sangaride en la prenant pour un monstre. Lorsque le jeune homme recouvre la raison, il tente de se suicider, mais Cybèle le transforme en pin puis se met à pleurer beaucoup devant l'étendue du désastre

Eglé

Fille de Pallas, Thésée roi d'Athènes tient captive Eglé, qui l'aime en secret et se flatte d'en être aimée. Les Pallantides, frères d'Eglé, assiègent Athènes pour reprendre leur sœur, avec le secours d'Antiope, reine des Amazones. Thésée, qui est amoureux d'Antiope, apprend avec une douleur mêlée d'un secret plaisir que l'ennemi, à la faveur de la nuit, s'est introduit jusque dans la ville. Au second acte, Thésée a repoussé Pallantides et Amazones. Pirithoüs fait à Eglé une déclaration sans effet, et lui met le désespoir au coeur en lui apprenant les amours réciproques d'Antiope et de Thésée.


Page accueil